On ne s’en rend peut-être pas compte, mais le monde vit un moment des plus terribles sur le plan de la pensée nationaliste. Je l’avais déjà évoqué à plusieurs reprises ici même, dans mes chroniques de Zamane, aussi bien en arabe qu’en français. J’ai parlé du Lebensraum israélien, mais aujourd’hui, je constate que tout cela n’était que le prélude d’une pensée en train de naître au sein des grandes puissances de ce monde.
À ce titre, je retiens deux noms qui effraient par leurs propos, aussi bien politiques que géostratégiques. Deux figures qui se profilent derrière deux chefs d’État puissants : John Holbrook Vance, vice-président des États-Unis, et Aleksandr Dugin, philosophe dont les idées inspirent largement Vladimir Poutine.
Le philosophe russe Aleksandr Dugin développe une vision eurasiste où la Russie incarne une civilisation distincte de l’Occident, opposant la tellurocratie (civilisation continentale) russe à l’espace thalassocratique (civilisation maritime) anglo-saxon. Il rejette le libéralisme, perçu comme décadent, et propose une quatrième théorie politique, censée dépasser le fascisme, le communisme et le libéralisme au profit d’un ordre multipolaire.
Inspiré par Carl Schmitt (critique du libéralisme et théoricien de la souveraineté) et la tradition slavophile, il voit la Russie comme l’héritière de Byzance et de l’Empire mongol, forgeant une identité eurasienne fondée sur des valeurs traditionnelles et antimodernes. Il appelle à une alliance Russie-Chine-Iran contre l’hégémonie occidentale et conçoit la Russie comme le cœur spirituel et impérial de l’Eurasie. Son eurasisme est à la fois un projet géopolitique, une doctrine traditionaliste et une critique radicale de l’universalisme occidental. Cette tendance à la fermeture et à l’isolement, sous prétexte de sauver la civilisation la plus pure, n’exclut bien entendu pas l’élargissement de l’espace vital pour défendre cette même civilisation. Si, dans ses écrits, il avait toujours prôné une alliance entre la Chine, l’Iran et la Russie pour combattre l’Occident décadent, dans ses dernières interventions médiatiques, il évoque une éventuelle entente avec les États-Unis, à l’exclusion des Européens. La raison ? «Ils» sont faibles.
Quant à son voisin du Sud, la Turquie, qui gesticule pour restaurer l’éclat terni de l’Empire ottoman, il la taxe de petit pays non fiable, avec lequel aucune alliance n’est envisageable. Un pays qui pourrait donc se retrouver sous la tutelle d’une grande puissance, d’une grande civilisation. De l’autre côté de l’Atlantique, non seulement Trump considère l’Europe comme un vieux continent affaibli, mais il veut annexer le Canada, le Panama et le Groenland. Il estime que les États-Unis ont le droit de s’étendre, de respirer. Il cherche à expulser les étrangers et à purifier la masse démographique du pays. Il ne cesse de répéter que les États-Unis sont une grande nation et qu’ils doivent l’affirmer pour se faire respecter. La scène que Trump et Vance ont offerte au monde à deux reprises, avec le roi de Jordanie et le président ukrainien, démontre sans détour que ce pays est en train de basculer vers un régime fasciste. Les signes que les piliers du pouvoir n’hésitent pas à afficher ne doivent pas être pris à la légère. Le fascisme, qui a commencé à germer un peu partout dans le monde, trouve aujourd’hui des appuis solides et des théoriciens disposant des moyens nécessaires pour mettre leurs idées en pratique. Le 14 février 2025, lors de la 61ème Conférence de Munich sur la sécurité, le vice-président des États-Unis, Vance, a prononcé un discours dans lequel il a exprimé sa préoccupation face à une menace intérieure en Europe, pointant du doigt un recul des valeurs démocratiques fondamentales, notamment la liberté d’expression, et critiquant les politiques migratoires du continent. Il a également remis en question la pratique consistant à exclure les partis d’extrême droite des coalitions gouvernementales, suggérant que cela pourrait être perçu comme une restriction démocratique.
Un net appui à la tendance fasciste.
Par Moulim El Aroussi, conseiller scientifique de Zamane