Le spectre terroriste
Stupeur et indignation au Maroc le 17 décembre dernier, lorsque les corps décapités de deux jeunes touristes scandinaves, Louisa Vesterager Jespersen et Maren Ueland, ont été retrouvés à Imlil, dans le Haut-Atlas. Les quatre suspects, arrêtés depuis avec plus d’une dizaine d’autres personnes et déférés devant le juge anti-terroriste, avaient prêté allégeance à Daesh, avant de commettre l’innommable. Sans toutefois avoir de liens organiques avec des membres de l’organisation terroriste en Irak ou en Syrie. Cela faisait sept ans, depuis l’attentat du café Argana à Marrakech, que le royaume avait été épargné par le terrorisme islamiste. En 2017, il figurait d’ailleurs parmi les pays les moins touchés par le terrorisme, selon Global Terrorism Index 2017. Il faut dire que les autorités n’ont pas ménagé leurs efforts sur la question, notamment avec la création du Bureau central d’investigation judiciaire (BCIJ) en 2015, qui a déjà démantelé 57 cellules terroristes. La menace a donc toujours été présente et cet acte démontre, s’il le fallait, qu’il n’existe aucune politique sécuritaire 100% fiable. Peut-être aussi parce que le volet sécuritaire ne suffira pas à endiguer une idéologie mortifère, mais bien présente.
Le retour du service militaire
Le 30 juillet 2018, à l’occasion de la Fête du Trône, Mohammed VI s’interrogeait quant à l’avenir de la jeunesse marocaine. Le 20 août, le Conseil des ministres adoptait un projet de loi (n°44-18) relatif à la réinstauration du service militaire obligatoire chez les 19-25 ans. L’annonce, tombée en plein été, a suscité une levée de boucliers sur les réseaux sociaux et divisé l’opinion publique. Certains ont pointé du doigt la volonté de l’Etat d’endiguer les diverses grognes sociales, de «dompter» la jeunesse, sans répondre toutefois à leur priorité : l’accès à l’éducation et à l’emploi. En décembre dernier, le projet de loi 44-18 a été adopté par la Chambre des Représentants. Dès septembre 2019, 10.000 jeunes seront appelés à passer leur service militaire pendant 12 mois. Ils suivront une formation académique, basée sur la morale, l’histoire et la discipline militaire, puis une formation pratique sur le terrain. Cette mesure coûtera déjà 500 millions de DH par an à l’Etat. Difficile d’imaginer qu’elle puisse donc être généralisée à l’ensemble de la jeunesse, d’ici les années à venir.
Haro sur la ville sainte
En début d’année 2018, le président américain Donald Trump envoyait une lettre à Mohammed VI. Le sujet ? Jérusalem, que Trump, depuis fin 2017, a reconnu comme capitale d’Israël. Une décision arbitraire et dangereuse, contre laquelle le souverain marocain, également président du comité al-Qods, avait protesté en écrivant à Trump. Dans la foulée, le ministre des Affaires étrangères, Nasser Bourita, avait convoqué la chargée d’affaires de l’ambassade des états-Unis et effectué une tournée historique en Palestine, sans oublier Jérusalem. Donald Trump a donc pris sa plus belle plume pour répondre à Mohammed VI, saluer son leadership et réaffirmer son souhait d’instaurer la paix entre les Israéliens et les Palestiniens. Un vœu pieux. Car dans les faits, les Etats-Unis ont déjà transféré leur ambassade à Jérusalem. Le Guatemala, le Honduras et le Brésil envisagent de faire la même chose.
À la bonne heure…
«Quelle heure est-il ? L’ancienne ou la nouvelle ? Quelle nouvelle?». Tous les Marocains se sont posées ces questions, restées sans réponses, le dimanche 28 octobre dernier. En ce jour, le temps est devenu fou. Alors que tout le monde s’attendait à un retour à l’heure d’hiver, le gouvernement, dans une communication chaotique, décide finalement de tester le maintien de l’heure d’été. Une mesure prise sur la base des résultats d’une étude commandée à cet effet. Mais la soudaineté de la réforme et la confusion créée font rapidement des mécontents. L’économie, l’administration publique, les écoles, la vie sociale, sont priées de se plier immédiatement à GMT+1. Les lycéens, particulièrement bruyants, ont vivement protesté. Mais rien n’y fait et, malgré quelques hésitations, le gouvernement n’a finalement pas reculé.
Mohammed VI, santé et transparence
L’heure du secret médical concernant le chef de l’Etat est de plus en plus révolue. Cette tendance étant désormais confirmée, les Marocains ont appris, le 26 février dernier, que Mohammed VI a été opéré avec succès à la clinique Ambroise Paré à Paris. Le communiqué de l’agence officielle, plus loquace qu’à l’ordinaire, explique que le roi « a présenté le samedi 20 janvier 2018 un trouble du rythme cardiaque » et que ses médecins avaient conclu à un « flutter auriculaire sur cœur sain ». Une transparence jamais vue dans l’histoire du royaume. Avant cette communication moderne, la santé des rois était chasse gardée, décryptée seulement par les rumeurs et murmures de couloirs. Mohammed VI souhaite rassurer et surtout ne rien cacher. Une photo de famille a été postée à cet effet, où l’on voit les proches du souverain à son chevet.
L’ONCF : Grandeur et décadence
L’année aura été forte en rebondissements pour l’Office national chérifien des chemins de fer (ONCF). D’abord, il a achevé, dans la hâte et la douleur, ses grands chantiers structurants: l’inauguration de la ligne LGV Tanger-Casablanca, le doublement de la ligne Casa-Marrakech, le triplement de la ligne Casa-Kenitra, et la construction de cinq gares « nouvelle génération ». Cela dit, l’ONCF a été sous le feu des critiques tout au long de l’année pour ses retards (trop) réguliers et son manque de communication auprès des usagers. Surtout, il a été directement mis en cause, lors du déraillement spectaculaire d’un train navette à Bouknadel, qui a fait 7 morts et 80 blessés, début novembre. Le procès est en cours et risque d’être long. Le TGV quant à lui, inauguré quelques jours plus tard, le 15 novembre, par Mohammed VI et le président français Emmanuel Macron, semble fonctionner à merveille. Estimé à au moins 22,9 milliards de DH, ce projet risque d’être difficile à amortir. Qui paiera au final ? À suivre …
Au carrefour de la migration
Depuis 2013, le Maroc, confronté à l’immigration subsaharienne, a pris à bras-le-corps la question, notamment à travers une politique de régularisation des migrants. Le royaume s’est construit un «soft-power» migratoire, au point d’accueillir cette année la conférence du Pacte de Marrakech sur la migration, organisée par l’ONU en décembre dernier. Cela dit, le pays est encore régulièrement épinglé pour mauvais traitement des migrants (violences, déplacements forcés) ; et semble dépassé par l’importance du flux migratoire. Cet été, 300 migrants ont forcé le passage entre le Maroc et Sebta. Cela a conduit à de fortes tensions entre le royaume et les enclaves espagnoles, mais aussi à une demande d’aide auprès de l’Union Européenne, qui a débloqué une enveloppe de 148 millions d’euros, fin décembre. En parallèle, le Maroc est confronté à un phénomène qu’on pensait disparu : la résurgence de l’immigration clandestine marocaine. À fin août 2018, il y avait déjà 54.000 tentatives. Cela a conduit à un drame en septembre : la mort de Hayat, jeune Tétouanaise, fauchée par une balle de la Marine Royale, alors qu’elle s’apprêtait à rejoindre l’Espagne sur une embarcation illégale.
Les Lions l’ont (presque) fait !
C’est sans aucun doute l’événement le plus fédérateur de l’année, celui qui nous aura tous rassemblés. Vingt ans après, les Lions de l’Atlas ont enfin renoué avec la Coupe du Monde de football, qui a eu lieu en Russie de juin à juillet 2018. Une épopée incroyable, un véritable ascenseur émotionnel. Les Lions n’avaient qu’une chose à faire pour passer le premier tour : battre les Iraniens, limiter la casse avec les Espagnols et les Portugais. Et bien, ils ont fait l’inverse : ils ont été piégés par l’Iran, ont fait trembler l’Espagne et ont bravement résisté contre le Portugal (surtout Ronaldo). Et finalement, ce n’était pas si mal. D’ailleurs, le pays s’est trouvé un nouvel héros : Noureddine Amrabet, qui a formulé tout haut ce que les Marocains pensaient tout bas (« VAR is bullshit »). Sous-entendu: l’arbitrage vidéo, c’est pour les équipes riches. Autre coup dur, tombé en plein pendant les jeux, l’organisation de la Coupe 2022 qui est passée sous le nez du royaume, à la faveur des Etats-Unis. Encore une fois ! C’est digne d’une tragédie grecque, et c’est sûrement pour ça que le pays entier a vibré.