Rarement les réseaux sociaux n’ont eu autant de factuels interrogateurs à leur disposition. La matière ainsi offerte à leurs regards s’y prêtait à satiété ; questionnements, déclarations et vidéos à l’appui. De quoi meubler un paysage politique morne, ennuyeux et peu incitateur à un intérêt positif pour la politique, encore moins à s’y engager en tablant sur la bonne foi et la crédibilité de ses acteurs attitrés. Les affaires se multiplient et se ressemblent, puisqu’elles découlent de la même source sur l’échiquier politique national. Vous l’aurez deviné, il s’agit des islamistes du PJD au pouvoir depuis une législative et demi. Pour être au plus près des faits, procédons par ordre chronologique ; même si des figures actives sont adaptées mieux que d’autres, aux canons des médias et à la thématique proposée au débat.
Au commencement était une pension de retraite supplémentaire, qualifiée d’exceptionnelle, accordée à Abdelilah Benkirane, ex-chef du gouvernement et ancien SG du PJD. La dotation s’élève, dit-on, à 9 millions de centimes mensuelle ; oui, vous avez bien lu 9. Le chiffre fait sensation. Il donne aux porteurs de petites et moyennes pensions de retraite confrontés à la même frénésie haussière du coût de la vie. Le sentiment qui prévaut est celui d’un déclassement des catégories socio-professionnelles, rapidement cataloguées classe moyenne, qui sont en train de rejoindre leurs compatriotes du bas de la pyramide sociale. Le rôle de ces classes dans la stabilité socio-politique du pays est largement entamé. Il est bon de rappeler, à ce sujet, certains faits passés sous silence par quelques mémoires courtes. Les plus mordus des séances plénières du Parlement, parmi les députés les moins absentéistes, ont certainement en mémoire l’opposition farouche de Abdelilah Benkirane au nom du PJD, du projet du gouvernement dirigé par Abderrahman El Youssoufi et défendu par Fathallah Oualalou, ministre des Finances, à propos d’une pension de retraite pour les ministres. Une intervention mémorable où Benkirane a invoqué Omar Ibn Al-Khattab et la rigueur égalitaire des musulmans prônée par ce compagnon du prophète. Une fois au pouvoir, le même Benkirane, chef du gouvernement, a défendu avec la même hargne un projet de loi sous ses auspices proposant une retraite identique à celle qu’il avait combattu hier encore. Il est vrai que les politiques sont souvent rattrapés par des prises de position contradictoires. Mais là, les médias audiovisuels aidant, la chose est trop flagrante pour ne pas être relevée. Au commun des salariés, Abdelilah Benkirane proposait de travailler plus longtemps pour prétendre à une pension plus faible que l’existant. Il était aux premières loges pour défendre cette option scélérate. Pour preuve, sa pension originelle de base n’aurait pas suffi à couvrir ses dépenses domestiques et à honorer ses dettes. À l’entendre, il n’était pas à la rue, mais presque. L’ État, dans sa magnanimité absolue, a volé à son secours. Comme pour dire que Benkirane a avalé tellement de couleuvres, particulièrement dans le domaine social, du temps de sa primature, qu’il méritait bien qu’on mette la main, pour lui, dans une caisse de retraite dont les fonds sont déjà en déshérence, si ce n’est une faillite programmée. La boucle est bouclée, en ce sens que ce qui est halal pour les uns ne l’est pas forcément pour les autres. Décidément, l’année à peine entamée ne s’annonce pas sous les meilleures auspices pour le PJD. Car voilà qu’en janvier 2019, une députée de ce parti islamiste en voyage de villégiature en France, est prise en photo aux Champs Élysées ; posant avec ostensibilité, cheveux au vent, face au célèbre Moulin Rouge. Un cliché qui résonnera longtemps dans les têtes d’une opinion publique médusée et des islamistes de tous bords qui n’en croyaient pas leurs yeux. Un «détail» de taille, la députée est sans voile. Son cas s’aggrave un peu plus. Les tenants d’un islamisme total sont furieux. Pour eux, son exposition est une provocation. Elle devait trouver le moyen de garder son voile ou de quitter le lieu. Dans les milieux d’Adl wal ihsane, on rit sous cape à l’adresse d’un PJD trahi par les siens, ce qui n’est que le début d’un naufrage politique annoncé. Les électeurs de Amina ont le sentiment d’avoir été dupés. D’autant que leur élue est connue pour son côté cumulateur de responsabilités, c’est à dire de mandats et d’indemnités. D’autres, par contre, dans son propre camp, avec un Benkirane en tête, pensent qu’il s’agit là de la vie privée de la personne ; ce qui n’est pas forcément opposable à sa militance politique. À les croire, c’est dans ce registre que devrait être cataloguées les échappées belles de leur ministre de l’Emploi, pris la main dans la main en compagnie galante d’une jeune femme sur les promenades des mêmes Champs Élysées. Peu importe, pour les loyalistes à tout crin, ces révélations balancées sur la place publique ne sont que des attaques en règle contre le PJD et son référentiel profondément dogmatique. Quoi qu’il en soit, ces escapades expriment un malaise diffus dans les rangs de cette mouvance politico- religieuse. Au final, le point fort du PJD, qui était bien évidemment le discours religieux, est devenu leur point faible. C’est là précisément où ils peuvent être fragilisés un peu plus. Ces politiques d’un autre type sont souvent trahis par des postures schizophréniques où ils se dédoublent aisément. Il serait néanmoins expéditif de leur recommander un passage par le divan d’un psychanalyste hors norme ; une sorte de Freud adapté, bien de chez nous. En fait, ce qui fausse le jeu démocratique et la vie politique au Maroc, c’est bel et bien l’imbrication du politique et du religieux. L’invocation de la religion pour défendre ou pour s’opposer à un acte politique, est encore plus dommageable dans une démocratie en construction, comme la nôtre. Une réalité encore moins compréhensible dans un pays musulman tel que nous le sommes.
Youssef Chmirou
Directeur de la publication