Le rôle des explorateurs européens, notamment ceux qui ont foulé le sol marocain dans le XIXème siècle, reste sujet à caution. On ne sait pas trop par quel bout le prendre.
D’un côté, ils ont apporté un savoir et une connaissance, c’est-à-dire une «science» indiscutable, qui a permis de mieux connaitre la société marocaine. Ce qui n’est pas négligeable.
Ils ont surtout organisé ce savoir, lui ont appliqué une grille de lecture «scientifique» et l’ont mis à la disposition du plus grand nombre. Mais, de l’autre côté, ils ont balisé le terrain aux militaires et aux financiers qui allaient faire main basse sur le Maroc.
Ils ont été agents et espions plus ou moins volontaires, parfois malgré eux, au service du projet colonial. Sans ce projet, dont ils ont été les vecteurs et les éclaireurs, beaucoup n’auraient jamais foulé le sol marocain et ne se seraient jamais intéressés à l’empire chérifien.
Charles de Foucauld, Pierre Loti, Louis Gentil, les frères Tharaud, Auguste Mouliéras, Eugène Aubin, Walter B. Harris, Henry de Castries, Emile Mauchamp, Christian Houel, etc. On peut leur ajouter les «visiteurs» anglais ou hollandais, dont la présence est attestée bien avant le XIXème siècle. Militaires, géographes, écrivains, artistes, journalistes, peintres, médecins, banquiers, diplomates, aventuriers de tous poils, tous ont pris la plume pour témoigner, raconter, renseigner et tenter de comprendre la terre du Maroc et ses hommes. Une plume très souvent acerbe, trempée au vitriol, qui est aussi le reflet d’une époque où les êtres humains n’étaient pas égaux.
Le reflet aussi d’un regard extérieur, d’une autre sensibilité, une autre culture. Avec, très certainement, des œillères qui empêchaient d’aller plus loin, de balayer un champ de vision plus large et plus juste.
Il n’empêche !
Même les plus «identitaires» parmi eux, même les suprémacistes, les condescendants, ceux qui n’ont été mus que par le désir de démontrer la supériorité d’une race, d’une ethnie, d’une couleur de peau, d’une civilisation, etc. Même ceux-là donc ont apporté quelque chose.
Dans le même temps, même les esprits les plus universels, les plus humanistes, n’ont pas pu éviter le piège de l’exotisme ou, pire encore, celui de l’ignorance. Il faut lire comment un Mark Twain massacrait littéralement la petite société tangéroise et comment George Orwell éreintait les miséreux de Marrakech en croyant ainsi épingler les champions du colonialisme triomphant.
Et pourtant !
On peut lire aujourd’hui ces explorateurs en séparant la bonne graine de l’ivraie, en faisant la part des choses, en mettant de côté ce qui appartient à l’air du temps. Le recul historique nous autorise à ce pas en avant, à dépassionner le débat. Mettons de côté le folklore de la forme, allons au fond.
Bien sûr, depuis Laroui et depuis les nationalistes, nous avons appris à lire cette littérature avec discernement. C’est-à-dire en mettant de côté ses tics, ses relents ambigus, ses postures et ses piques vexantes, blessantes. Le temps est le meilleur vaccin contre tous ces effets secondaires… qui n’enlèvent rien aux mérites de cette littérature.
Le Maroc inconnu, le Maroc pittoresque, le Maroc disparu, reconnaissance du Maroc, etc. Tous ces titres semblent renvoyer à une société primitive et à une sorte de terra nullius, sauvage et sans maître, à laquelle on concède à peine le caractère humain de ses occupants.
Mais, en matière de littérature, il ne faut jamais s’arrêter aux couvertures et aux titres. Il faut tourner les pages et s’enfoncer, littéralement, dans ces pages qui racontent des pans entiers de notre histoire.
Derrière les stéréotypes et les clichés, il y a aussi des vérités.
Directeur de la rédaction
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