En 1972, profitant d’une détente entre le Maroc et l’Algérie, les chefs d’Etats signent un accord fixant la frontière entre les deux voisins. Mais les péripéties politiques du royaume empêchent la reconnaissance et l’application de ce tracé. Bref récit d’une bizarrerie politique et diplomatique…
Le choc des deux coups d’État conduit Hassan II, qui se sent de plus en plus affaibli, à se hâter de régler le différend des frontières avec Alger par l’accord du 15 juin 1972. Les accords sur les frontières avec l’Algérie ne peuvent en principe être entérinés qu’après avoir été présentés au Parlement comme le stipule la Constitution. Seulement, l’occasion ne peut se présenter qu’à partir de 1978, date de réouverture du Parlement, fermé depuis les deux tentatives de putsch. Malgré la réapparition des députés dans l’Hémicycle, aucun texte relatif aux accords de 1972 ne passe par le Parlement. Le 15 juin 1992, l’ensemble de la classe politique est surpris de voir les accords sur les frontières publiés dans le Bulletin officiel, vingt ans après leur signature entre les deux parties. Dans son livre « Les faits marquants de l’Histoire du Maroc de 1900 à 2010 », Abdelhay Bennis, ancien chaouch du Parlement devenu une véritable mémoire de cette institution, fait allusion à une conférence de presse donnée par le souverain, le 19 août 1979. À la question relative aux intentions du roi sur l’affaire des accords sur les frontières, Hassan II répond : «Je ne renie pas l’accord conclu par mon ministre. Même en l’absence d’un Parlement, j’aurai pu entériner ce traité, mais j’ai annoncé au président Boumediene qu’il serait préférable d’attendre sa réouverture. Je lui ai dit que c’est de cette façon qu’il entrerait par la grande porte. Nous éviterons ainsi de véhiculer une image négative. Preuve de ma bonne volonté, personne ici ne parle de ces accords qui datent pourtant de 1972, alors même qu’en mars 1973, des hommes, des armes et des véhicules provenant d’Algérie entrent sur le territoire marocain. Les tribunaux se sont saisis de cette affaire et j’ai dit au Président Boumediene : Dans ces conditions, moi, Hassan II, je ne valide pas les accords conclus avec vous sur les frontières». Le roi du Maroc révèle également, au cours de cette conférence de presse, que lors de sa rencontre avec Boumediene, il affirme à ce dernier que les partis politiques marocains ne comptent pas contester les accords et que, dès la réouverture du Parlement, ils valideraient la signature. Pourtant, les parlementaires attendent toujours. Suite à la publication surprise des accords dans le Bulletin officiel en 1992, les hommes politiques, comme Mohamed Elyazghi, alors député USFP, sont catégoriques : «Lors de la visite du président algérien Mohamed Boudiaf, Hassan II a décidé seul de respecter ses engagements avec eux. À aucun moment, nous n’avons été consultés lorsque le roi a décidé de faire apparaître les accords au Bulletin officiel. Il n’y a pas eu de débat au Parlement». De son côté, M’hamed Boucetta, alors Secrétaire général du parti de l’Istiqlal, se montre tout aussi catégorique : «Dès lors que le Parlement fonctionne, il est totalement anormal de se passer de sa validation, surtout pour des sujets d’une telle importance».