Le choc des civilisations est une vieille rengaine qui a été alimentée par la guerre. La peur et l’ignorance sont le résultat direct de cette violence.
C’est par la violence qu’Orient et Occident ont été amenés à se frotter l’un à l’autre. Ce n’est pas l’idéal pour se connaitre et cohabiter sans s’entretuer.
Il y a eu d’abord les Croisades (XI-XIIIème), ensuite l’expansion des empires coloniaux (XIX-XXème). Faites le calcul, ces deux événements ont couru sur près de quatre siècles.
Quatre siècles, donc, durant lesquels l’Occident s’est invité en Orient. La première fois, c’était sous le prétexte de la religion. La deuxième fois était plus brutale, plus cynique : l’Occident s’est imposé par la colonisation, sous couvert de mission civilisatrice.
Le choc des civilisations, tel qu’on le connait aujourd’hui, est né dans ces « coucheries » imposées, avec un corps qui s’impose à l’autre et le possède de force, sans consentement et sans ménagement.
Inutile, voire impossible, dans ces conditions exceptionnelles, d’espérer en finir avec la peur et l’ignorance, impossible de croire en une quelconque compréhension / acceptation de l’autre. Le chemin sera long…
La violence de la colonisation a été servie, en plus, et entre autres outils, par…le sexe. Tout à fait. Il y a eu une recodification des pratiques et des représentations liées au sexe. Cela va bien au-delà de la réorganisation / modernisation de l’industrie du sexe autour des fameux BMC (bordels militaires de campagne) et de l’assainissement / hygiénisation au pas de charge de la prostitution.
Ça, c’était pour la forme. Quant au fond…
Ces missions « civilisatrices » ressemblaient bien à une forme d’asservissement. L’assainissement du commerce sexuel avait d’abord l’objectif de sauver des vies humaines parmi les soldats de l’occupation. Parce que, ne l’oublions pas, la syphilis et les maladies vénériennes ont été la première cause de décès chez les armées françaises au Maroc, et notamment à Casablanca, bien plus en tout cas que les combats livrés à la résistance marocaine…
Ensuite, cet assainissement s’est accompagné d’un folklore qui a avili le colonisé, dépeint comme un être sauvage, bestial, barbare. Un sauvage dont on prend la femme, surtout !
Pour une société traditionnelle, patriarcale, c’était le comble de l’humiliation.
La colonisation a possédé le corps de la femme et dominé celui de l’homme. Elle a réduit les deux à une caricature. Nous ne sommes pas loin du négatif des « Mille et une nuits », avec l’hyper érotisation du corps de la femme et la crétinisation de l’esprit du mâle, décrit comme un être brutal et primitif. Possession et domination ont ainsi fonctionné ensemble, continuant par le sexe (et la multitude de représentations qu’il offre) un travail commencé par la violence de la guerre et de l’occupation.
Nous sommes les héritiers de cette époque, de ces histoires, de ces blessures. Nous avons des comptes à régler avec les fantômes de ce passé mal digéré, voire pas digéré du tout.
Les quatre siècles de cohabitation forcée entre Orient et Occident restent une séquence longue et terrible. Parce qu’elle porte en elle le sentiment d’une très grande injustice. D’une manière ou d’une autre, le dominé ou le vaincu sera habité par le désir de revanche. Et ce n’est pas près de changer !
C’est ce désir, évidemment inassouvi, qui anime (endiable ?) le fameux choc des civilisations et en fait un problème qui va bien au-delà de la différence des cultures, des mentalités, des croyances, du rapport à la religion et à l’individu, ou du sens de la vie…