Il a été un moment pressenti pour le prix Nobel. Une simple rumeur qui fait de lui une attraction dans un pays peu habitué aux savants de renommée mondiale. Si Rachid Yazami est gêné d’évoquer la possibilité d’une telle distinction, elle n’a pourtant rien de saugrenu. L’inventeur de l’anode en graphite, procédé révolutionnaire qui permet de recharger les batteries, est depuis un moment reconnu par ses pairs. Détenteur du prestigieux prix Draper (le Nobel des ingénieurs), le physico-chimiste marocain revient pour Zamane sur les grandes lignes de son ascension. Depuis la fascination pour les sciences découvertes dans les ruelles de la vieille médina de Fès, jusqu’aux plus hautes distinctions reçues dans le monde, Rachid Yazami nous rappelle qu’un destin n’est jamais écrit à l’avance.
Vous semblez très attaché à votre ville natalede Fès…
Oui, Fès a sans aucun doute forgé l’homme que je suis devenu. J’y suis né en 1953, plus précisément dans le quartier de Chrabliyine, pas loin de la porte Boujloud, puis j’ai grandi dans le quartier de Hay Achouhada. J’ai découvert il y a peu que feu mon père, décédé en 2015, faisait partie de la première équipe du MAS (Maghreb Association Sportive, principal club de football de la ville de Fès, ndlr) en 1948. C’est en feuilletant le livre de Driss Benzakour, ancien président du club, que je tombe par hasard sur une photo de l’équipe où figurent trois Yazami. Outre mon père, j’ai reconnu deux de mes oncles. Cette anecdote montre le sentiment d’appartenance que nous avons avec la ville de Fès. Mes plus anciens souvenirs d’enfance, bien que flous, remontent aux festivités liées à l’indépendance. J’ai en mémoire une liesse populaire inhabituelle qui a sérieusement secoué la ville. Quelques années plus tard, j’ai gardé des souvenirs bien plus nets de la visite, au tout début des années 1960, du roi Mohammed V qui était passé devant la laiterie tenue par mon père pour se rendre à la Mosquée des Andalous.
La ville a-t-elle nourri votre esprit scientifique ?
Fès est considérée comme la ville impériale et historique du Maroc. Mais elle est aussi la cité du savoir. À dix ans, j’étais fasciné par tous ces métiers de l’artisanat qui sont, pour moi, l’âme et le cœur de la ville. Je déambulais souvent dans l’ancienne médina au gré des «derbs» classés par corporations. Je me souviens d’avoir été particulièrement subjugué par le travail de précision des horlogers qui œuvraient dans des mécanismes minuscules et complexes. Dans les ruelles de la vielle médina, vous trouviez également des terrassiers qui vendent toutes sortes de livres, la plupart étaient en arabe. Mon argent de poche passait souvent dans l’achat de ses livres d’occasion du moment où il y était question de science. Pour vous dire, je m’étais même pris de passion pour les traités d’Alchimie, une pratique ancestrale à Fès. Ce mot vient d’ailleurs de l’arabe «al-kimiaa» qui veut dire aujourd’hui chimie. J’ai essayé de nombreuses formules exposées dans ces livres anciens et dont les ingrédients étaient disponibles chez les herboristes de la médina. Malheureusement, je n’ai jamais su transformer le plomb en or et puis, surtout, j’ai fait l’expérience de la véritable science.
Propos recueillis par Sami Lakmahri
Lire la suite de l’interview dans Zamane N°144