Contrairement à ses apparences d’homme pieux et tranquille, à la limite de l’indolence, et malgré un contexte intérieur et extérieur extrêmement difficile, Sidi Mohamed Ben Abdallah a été le premier à tenter d’inscrire le Maroc et la fonction même de sultan, ou de roi, dans une certaine modernité. Ou presque. Au vu des tumultes de son époque, cela tenait de la gageure.
L’histoire retiendra que Sidi Mohamed Ben Abdallah a été le premier à avoir ce qu’on appellera une «conscience atlantique». Avant lui, les souverains marocains tournaient le dos au littoral atlantique, qui sera longtemps convoité et/ou occupé par les puissances européennes : le Portugal d’abord, mais aussi l’Espagne et, à un degré moindre, l’Angleterre. Mohamed III a littéralement «ouvert» les ports d’Essaouira, à un moindre degré Safi et plus tard El Jadida, qui était encore aux mains des Portugais au moment de sa prise de pouvoir. Il réanima une petite cité oubliée, et qui aura à jouer un très grand rôle par la suite : Rabat. Il «ouvrit» dans la foulée Anfa / Casablanca. En se tournant vers l’Atlantique, le sultan cherche avant tout le moyen de contourner la route principale qui relie Fès et Marrakech. C’est cette route, cet axe, qui a fait l’histoire du Maroc politique. Au point que ce tronc commun est devenu la principale source du pouvoir dans l’Empire chérifien. À défaut de puiser à son tour dans cette source, Mohamed III en inventera une autre, voire d’autres. Marchant sur les pas de Moulay Ismaïl, qui avait choisi Meknès aux dépens de Fès et Marrakech, Sidi Mohamed ira plus loin encore. Le roi voyageur qu’il est devenu, par la force des choses, ne choisira pas une capitale mais plusieurs. Pourquoi ? Parce que l’axe Fès – Marrakech est désormais peu sûr, ensuite parce que le cœur du pouvoir, dans ce Maroc du XVIIIème siècle, est éclaté, disloqué, à l’image du démantèlement accéléré des structures de l’état.
Par Karim Boukhari
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