La révolution iranienne de 1979 fait prendre conscience aux Américains de la portée du discours religieux au sein des sociétés musulmanes. La CIA, qui a toujours eu un œil attentif au Maroc, constate l’émergence du militantisme islamiste dans le royaume. Des rapports aujourd’hui déclassifiés…
La CIA est, dès la toute fin des années 1970, en charge de prévenir d’éventuelles renversements politiques menés par des mouvements religieux, potentiellement hostiles aux Etats-Unis. C’est ainsi que l’agence américaine analyse la situation marocaine et tente d’en tirer des conclusions et des prédictions. Dans les rapports destinés à Washington et récemment déclassifiés, la CIA considère que le statut du roi «reste le principal rempart» contre l’émergence d’une force islamiste radicale. Dans une note rédigée en 1988, la CIA rappelle que le monarque «est un leader spirituel en vertu de sa descendance proclamée avec le Prophète Mohammed. Un statut qui combine ses pouvoirs et lui assure une légitimité spirituell». Le rapport poursuit sa description de la canalisation du fait religieux dans la société marocaine «Le ministère des Affaires Islamiques contrôle l’éducation religieuse, supervise les prêches du vendredi et construit les mosquées». Les études de la CIA signalent également la spécificité des cultes musulmans marocains encouragés par le pouvoir : «Les gouvernants sont tolérants avec la confrérie des Soufis, le culte des saints, les minorités religieuses à conditions que ces groupes ne critiquent pas les gouvernants». Consciente du risque d’une poussée du fondamentalisme depuis les couches les plus défavorisées, la CIA note «les efforts ardus du pouvoir pour promouvoir les confréries soufies afin de contrer le fondamentalisme importé».
Les années 1980 et 1990 sont marquées par l’émergence de mouvements islamistes plus ou moins clandestins au Maroc. Face à une situation socio-économique délicate, le Maroc jongle entre compromis et répression d’une nouvelle vague d’islamisme politique. Auparavant, seule la Chabiba Islamya fondée par Abdelkrim Motiî sort de l’anonymat. Cette organisation a également fait l’objet de l’attention de la CIA qui la décrit comme «le groupe le plus large qui prolifère dans les milieux urbains et touche essentiellement les jeunes. Il est fondé en 1972 avec la complicité du pouvoir. Une coopération affaiblie depuis l’assassinat d’un leader socialiste très en vue (Omar Benjelloun). Le groupe opère désormais dans la clandestinité».
Les analystes de la CIA livrent également à leurs supérieurs des estimations de nombres de militants islamistes actifs sur le territoire marocain au début des années 1990 : «Nous estimons à peu près à 70 à 80 organisations qui combinent 45.000 membres. Seuls quelques milliers épousent une doctrine violente dans le but de ‘purifier’ le caractère islamique du Maroc’». Dans ce même rapport, les analystes de la CIA concluent sur l’état des lieux de l’activisme islamiste au Maroc et se lancent dans des prédictions : «Le régime demeure fort et l’opposition en désordre. Mais la morosité économique cause l’accroissement des revendications sociales portées aujourd’hui par les fondamentalistes, capables de perturber le régime».
Quelques années plus tard, la puissance de feu du terrorisme islamiste éclate à la face de l’Occident et de l’Amérique à travers l’attentat du 11 septembre 2001. Casablanca est également meurtrie le 16 mai 2003. La CIA et le Maroc collaborent alors activement et, sans doute, l’histoire nous en révélera les coulisses.