Dans leur processus de réconciliation, les royaumes ibérique et chérifien ont fini par faire quelques concessions. Du côté marocain, la question de la douane commerciale des présides espagnols est de moins en moins crispante. Paradoxe d’une reconnaissance qui ne dit pas son nom…
D’ordinaire, les visites de hauts responsables espagnoles dans l’enclave de Sebta sont mal perçues par Rabat qui les considère comme une provocation. Mais cette fois, celle du Premier ministre espagnol Pedro Sánchez le premier mars dernier n’a pas soulevé d’émoi. Cette visite était inscrite dans la feuille de route du processus de réconciliation entre les deux pays et vient entériner la décision de réhabiliter la douane commerciale dans les présides espagnoles en territoire marocain. C’est d’ailleurs le sujet phare évoqué lors des récentes réunions entre les diplomates des deux royaumes voisins. Fermés depuis août 2018, soit au plus fort de la crise politique entre les deux pays, puis victimes du gel des activités à cause de la pandémie de Covid-19, les postes de la douane commerciale des présides espagnoles reprennent de l’activité. Leur histoire n’épouse pas forcément celle des enclaves de Melilia et Sebta. Car des siècles durant, la question commerciale des présides espagnols sur le territoire marocain est passée au second plan. Car Melilia, et d’avantage encore Sebta, étaient des places fortes militaires et des bagnes pour prisonniers exilés. Mais les appétits coloniaux du XIXème siècle, avec eux les perspectives de profits économiques, vont changer la donne. Fragilisé par les deux revers militaires successifs d’Isly en 1844 puis de Tétouan en 1860, puis par les dettes qui en découlent, l’empire chérifien se voit obligé d’accepter des clauses de traités largement en sa défaveur, notamment en matière douanière.
Celui signé en 1856 entre l’Angleterre et le Maroc est celui qui va forcer le royaume chérifien a accepté les produits occidentaux sur son marché et en alléger substantiellement les droits de douane. Dès lors, la ville de Sebta sous souveraineté espagnole devient une porte d’entrée commerciale évidente malgré l’hostilité persistante des tribus rifaines. Mais le Makhzen a les mains liées et le fait même de commercer légalement avec les présides espagnols est une reconnaissance d’une frontière terrestre que le Maroc d’alors s’interdit. Un aspect qui va durer d’ailleurs tout au long du XXème siècle, et même bien après l’indépendance. Depuis les années 1980 et le développement du commerce de contrebande, les populations marocaines précarisées autour des présides cristallisent l’essentiel des échanges avec l’Espagne. Une économie souterraine qui prive de surcroît l’Etat marocain de revenus fiscaux qui a donc moins d’intérêt que son homologue espagnol à favoriser le commerce avec une ville comme Sebta. Désormais, et avec la lune de miel entre les deux royaumes, la situation de la douane dans les présides est l’une des faces visibles de la réconciliation. Les deux voisins collaborent à ce sujet comme l’a confirmé le ministre des Affaires étrangères, de l’Union européenne et de la Coopération, José Manuel Albares, à la fin du mois dernier: «Le résultat d’un travail diplomatique discret, patient, pas à l’heure de Twitter, pour éviter les scènes du passé et consolider une frontière du XXIème siècle entre deux pays qui, parce qu’ils ont une frontière terrestre, doivent avoir les meilleures relations de voisinage».