Soukaïna Oufkir nous reçoit humblement dans son appartement à Marrakech, où elle vit désormais. Profitant du doux soleil de cet été indien qui baigne toujours la cité ocre, elle s’active à terminer son premier album après la parution, au compte-gouttes, de quelques unes de ses chansons. L’occasion de prendre des nouvelles de la cadette de la famille Oufkir, désormais chanteuse reconnue, car il y a 50 ans, en décembre 1972, commençait un long calvaire qui va durer 19 ans. Si elle accepte de nous parler, il n’est pas pour autant question de remuer le couteau dans la plaie des souvenirs de l’enfer. Le récit bouleversant de celle qui n’avait alors que 9 ans lorsque le régime décide d’enfermer sa mère et ses cinq frères et sœurs, est posé dans un livre sorti en 2008. Soukaïna Oufkir a désormais le regard fermement projeté vers l’avenir. Tout en confessant ses projets, elle prend le temps de nous expliquer comment elle est devenue la femme qu’elle est aujourd’hui… Forte, sensible et surtout vivante.
Comment allez-vous ?
Je vais bien, mais c’est un travail de tous les jours, tous les instants. Avec tout ce qu’il se passe dans le monde et son enchainement d’évènements anxiogènes, la pandémie, la guerre, le réchauffement climatique, nous subissons tous des répercussions psychologiques et physiques. C’est pourquoi je cultive mon extra-sensibilité car je refuse de me cloitrer derrière une armure et devenir indifférente à ce qui m’entoure. Mais, face à tant d’impuissance par rapport aux malheurs des autres, il faut pouvoir se sentir utile et voir plutôt le verre à moitié plein qu’à moitié vide.
Cet état d’esprit vous permet-il de reprendre sereinement vos activités dans la chanson ?
Vous savez, à la veille de mes 60 ans, je vois le temps qui passe inéluctablement. Le choix de reprendre la musique et le travail artistique est pour moi vraiment vital. Cela participe à un équilibre important dans ma vie, et c’est ce qui me permet de surmonter les moments les plus difficiles. Si je traverse un moment sombre dans ma journée, il suffit que je me plonge dans une inspiration pour que le monde extérieur se mette en veille. Je pense que la période que nous vivons actuellement est dure pour tout le monde. Elle doit nous faire prendre davantage conscience de la préciosité de la vie.
Vous avez l’air en phase et au clair avec votre hypersensibilité…
J’ai entendu récemment une interview de l’actrice Isabelle Nanty, où elle explique à propos de son hyper sensibilité : «Je suis comme la viande, plus on me frappe et plus on me ramollit». Vous pourriez croire que j’en ai vu d’autres et que je devrais être suffisamment armée pour encaisser les malheurs du monde. Mais c’est absolument le contraire qui se passe en réalité. Plus j’avance dans l’âge, plus je vois des choses autour de moi, et plus j’y suis sensible. Et comme il ne m’est pas donné la possibilité de changer le monde, je me contente de faire ma part, j’apporte ma goutte à la rivière qui doit éteindre l’incendie. Il est crucial pour moi de rester sensible au monde qui m’entoure. Le jour où je me réveille indifférente à cela, ça signifierait la fin de ma vie.
Propos recueillis par Sami Lakmahri
Lire la suite de l’interview dans Zamane N°145