Lorsque le nationaliste Mehdi Benaboud prononce cette phrase lors d’une émission de la RTM en 1985, il ne se doute pas qu’il va provoquer la colère de Hassan II, le chamboulement de la télévision nationale et la main mise de Driss Basri sur le ministère de l’information…
Sous l’impulsion de Noureddine Saïl (ancien Directeur du Centre Cinématographique Marocain), la RTM commence sa mue en mars 1984. Cette date correspond à sa nomination en tant que directeur des programmes à la télévision nationale (TVM). Cet ancien inspecteur général de philosophie délaisse le milieu universitaire pour tenter le pari de l’audiovisuel. Il souhaite dépoussiérer la programmation alors axée essentiellement sur le divertissement. Il encourage Driss Lamrini à réaliser une émission consacrée à l’Histoire intitulée « Ouataïk » (documents), qui voit défiler un bon nombre de témoins du passé. Le numéro de ce mois de décembre 1985 met à l’honneur le docteur Mehdi Benaboud, ancien cadre du mouvement nationaliste et proche du roi Mohammed V. Durant l’émission, ce témoin prestigieux répond aux questions auxquelles il est soumis et commet l’impardonnable aux yeux de Hassan II. Tout d’abord, il n’emploie pas les expressions d’usage lorsque l’on fait référence à un souverain, mort de surcroît. Surtout, Benaboud prononce cette terrible phrase : « Quand Mohammed V nous a proposé de le suivre dans le combat de l’indépendance, nous avons douté de sa sincérité ». La télévision d’Etat vient de faire une entorse à l’Histoire officielle. Un affront impardonnable pour le roi qui décide d’abord de punir les responsables puis dans la foulée, de lancer son vaste programme de réformes prévu pour le secteur de l’audiovisuel. La victime de la première étape n’est autre que Noureddine Saïl.
Le soir même, le directeur des programmes de la télévision nationale pense rentrer tranquillement chez lui. Il est enlevé à bord de sa voiture, et personne ne le reverra avant plusieurs jours. Un récit surréaliste confirmé par l’intéressé lui-même. Il affirme que pendant sa rétention, Driss Basri attendait de lui qu’il « dénonce la responsabilité de Abdelatif Filali, chose que je n’ai pas faite » précise t-il. Filali est depuis le 30 novembre 1983, le ministre de l’information du troisième gouvernement de Mohamed Karim Lamrani. Il cumule de fait cette fonction avec celle de ministre des Affaires Etrangères. Il est surtout un énième rival de Driss Basri qui se méfie toujours des hommes politiques proche de roi (Abdelatif Filali est le père du gendre de Hassan II). Depuis longtemps déjà, le ministre de l’Intérieur guette un faux-pas de son concurrent et collègue du gouvernement. L’épisode de l’intervention télévisuelle du docteur Benaboud lui offre une occasion en or de porter une attaque à l’encontre du ministre de l’Information. Le lendemain, alors même que Abdelatif Filali est en déplacement à l’étranger pour le compte de son autre ministère, il apprend que celui de l’information lui est retiré. Driss Basri devient le tout puissant patron de la presse marocaine.