Elisabeth Guigou est une amie revendiquée du Maroc. La socialiste française, native de Marrakech, est aussi la première femme française à la tête d’un ministre régalien lorsqu’elle devient Garde des Sceaux en 1997. Dans ce témoignage, extrait de l’interview accordée à Zamane en janvier 2019, elle revient d’abord sur sa jeunesse et ses études au Maroc. Elle évoque le «réseau pro-marocain» au sein du cabinet de François Mitterrand, dans lequel elle était active dans les années 1980, et revient sur ses relations privilégiés avec le gouvernement d’alternance de Abderahman Youssoufi.
«J’ai suivi mes études primaires et secondaires à Marrakech au lycée Victor Hugo. J’y ai passé mes deux baccalauréats (à l’époque, il en existait deux) avant d’aller effectivement à Rabat. Mes parents n’ont pas souhaité m’envoyer si jeune en France. J’avais alors à peine 16 ans. A l’époque déjà, j’avais appris l’existence de l’ENA (Ecole Nationale d’Administration) et qu’il fallait passer d’abord par Sciences Po. Mon objectif était clair. En attendant, j’ai fait une propédeutique au lycée Descartes en vue de faire une licence d’anglais. Je me souviens avoir eu la meilleure note du Maroc au bac. Je suis restée une année de plus à Rabat, où j’ai intégré la faculté des Lettres pour y faire ma première année d’anglais. J’ai le souvenir d’une période très agréable avec peu d’étudiants et des professeurs de grande qualité. La qualité de vie qu’offrait et qu’offre toujours Rabat est remarquable. Nous nous baignions à Temara à l’heure du déjeuner. Une vie étudiante comme on en rêve. Evidement, j’ai eu un choc en arrivant en France. Je n’avais peut-être jamais mis un manteau avant. Même à Montpellier, dans le sud de la France, je trouvais qu’il faisait très froid. Mais je savais que ce parcours, si je voulais poursuivre mes études, était inéluctable. J’ai tout de suite éprouvé de la nostalgie vis-à-vis du Maroc. Par la suite, je n’ai plus passé une année sans retourner au Maroc, d’autant que mes parents ont continué à y vivre quelques années de plus. Plus tard, c’est au Maroc que notre fils a fait son premier voyage alors qu’il n’avait pas encore un an. Lorsqu’il a eu l’âge de parler, il disait du Maroc que c’était le pays de maman.
«Nous reconnaissions que certaines dérives n’étaient pas acceptables»
A l’Elysée, j’étais la voisine de bureau d’Hubert Védrine, qui a lui aussi de fortes attaches avec le Maroc puisque son père avait beaucoup aidé les nationalistes au moment de l’indépendance. De fait, la réserve de François Mitterrand à l’égard du régime de Hassan II était tempérée par les informations de Hubert Védrine et de son père à propos du Maroc, dont ils connaissaient parfaitement les spécificités. Nous reconnaissions que certaines dérives n’étaient pas acceptables, mais nous militions pour ne pas couper les liens avec le pays et ses habitants qui souffrent pour la plupart bien plus que nous. Nous parlions beaucoup de ce sujet avec le Président et il savait que je connaissais les Marocains de tous les milieux, et pas seulement ceux de la haute bourgeoisie. Je peux vous dire le sentiment de soulagement extrême que j’ai éprouvé à l’avènement du gouvernement Youssoufi en 1998 puis, un an plus tard, à celui du roi Mohammed VI. J’ai eu à ce moment la certitude que le Maroc prenait la direction de davantage de respect des droits. J’ai pu suivre cette évolution alors que j’étais ministre de la Justice avec mon homologue et ami Omar Azziman, qui occupait le même poste, personnage réputé pour la défense des droits humains. Je l’ai d’ailleurs décoré de la Légion d’Honneur en 1999, et nous continuons à nous voir dès que l’occasion se présente.
En 1998, la situation au Maroc était enfin plus conforme à mes convictions. Le fait de faire partie d’un gouvernement socialiste dirigé par Lionel Jospin et qu’au même moment, le Premier ministre marocain soit un éminent socialiste, était pour moi une source de joie. Pour l’anecdote, je me souviens d’une visite de travail de notre gouvernement au Maroc. J’avais alors, dans mon cabinet, un jeune sous-préfet, Seymour Morsy, lui-même d’origine marocaine. Sa mère, qui a connu monsieur Youssoufi, m’a demandé de transmettre à travers son fils une reproduction d’anciens diplômes qu’il avait obtenus lors de ses études dans le sud de la France, bien des années auparavant. Avec l’autorisation de Lionel Jospin, j’ai transmis ces documents à monsieur Youssoufi lors du diner entre les deux gouvernements. Il était très ému de les recevoir. Je pense que tout ceci n’est pas un hasard et cela confirme tous les liens avec le Maroc et ses acteurs politiques».