L’héritage pose un problème à l’humanité. Il l’empêche d’aller de l’avant. Dans les pays développés, certains osent la grande question, à valeur quasi philosophique : et si on supprimait tout bonnement l’héritage?
Il suffit de fermer les yeux et de rêver à ce jour où les biens ne seraient plus transmissibles par hérédité. La première question qui nous vient à l’esprit est : que deviendront donc ces biens et vers qui ou quoi iront-ils ?
Difficile de prévoir. Peut-être que ces biens soudain sans personne iraient à une sorte de patrimoine commun de l’humanité, avant d’être redistribué entre les hommes (les plus méritants) ou les institutions (associations d’entraide sociale et centres d’éducation et de développement). Nous nous croirions presque dans une sorte d’utopie nouvelle, peut-être la plus belle depuis les premières heures du communisme, quand les hommes rêvaient encore d’un monde égalitaire où les riches et les pauvres se confondraient dans une même couche de travailleurs. N’ouvrez pas encore les yeux, s’il vous plaît, gardez-les fermés. Imaginez alors la dimension philosophique d’un monde où personne n’hérite de personne. La course à l’enrichissement (avec le fameux prétexte « je le fais pour mes enfants ») aurait-elle encore un sens ? L’argent lui-même aurait-il encore de la valeur ?
La suppression de l’héritage matériel équivaut à une redistribution des valeurs morales qui guident l’humanité dans ses tâches quotidiennes. C’est un reformatage de l’esprit humain à échelle individuelle, une redéfinition des codes qui unissent les uns aux autres, et c’est aussi une chance à saisir pour tout ce patrimoine commun que l’on appelle immatériel. Une chance aussi à l’épanouissement d’autres « biens » transmissibles seulement par le sang et les gènes, parfois par l’éducation qu’un père « imprègne » à son fils…
Toutes ces questions utopiques paraissent lointaines. Mais l’esprit humain les effleure déjà, un jour il les creusera pour de bon parce qu’il sera guidé par sa quête du mieux. Et cette quête n’a pas de limites…
Vous pouvez rouvrir les yeux à présent. Nous allons arrêter de rêver de ces jours meilleurs où l’homme réfléchirait à une meilleure approche de l’homme. Ce rêve n’est pas pour nous. Nous en sommes loin. Nous devons faire face, pour commencer, à la difficulté (douce qualification) de convaincre nos semblables qu’en terres dites d’islam, femmes et hommes doivent être égaux devant l’héritage de leurs pères. Cette question a été scellée et gravée dans le marbre dans les premiers temps de l’islam. Ceux qui ont osé s’en approcher ont été frappés d’électrocution. Excommuniés, dénigrés, au mieux considérés comme des fous, sinon comme des traîtres et des renégats. Dernier exemple en date : celui de la chercheure Asma Lamrabet, qui défend un islam ouvert à la relecture (et donc prêt à revoir sa position vis-à-vis de la femme), et qui vient d’être «démissionnée» comme une malpropre de la Rabita des ouléma. Son crime ? Défendre l’égalité femme–homme en matière d’héritage…
Avant de nous quitter, fermons une dernière fois les yeux et posons cette question, comme dans un songe: Messieurs les ouléma et les gardiens du temple, que pensez-vous du débat actuel sur la suppression de tout héritage ? Etes-vous, au moins, au courant ?
Par Karim Boukhari, Directeur de la rédaction