Il faut appeler un chat un chat, comme disait le président français Chirac quand les états-Unis avaient envahi l’Irak en 2003. La guerre déclenchée par la Russie contre l’Ukraine, le 24 février, est une agression et elle est condamnable…
Elle l’est d’autant qu’elle émane d’un pays disposant de l’arme nucléaire, c’est-à-dire de dissuasion, qui le met à l’abri d’attaque, jouissant du droit de veto, et de surcroît membre fondateur des Nations Unies, dont la raison d’être est la paix et la sécurité dans le monde et la résolution des conflits par les voies pacifiques. Toutes les voies diplomatiques n’avaient pas été épuisées. Elles ont été ignorées, voire tournées en ridicule.
Quels que soient les griefs de la Russie contre son voisin de l’est, rien ne justifiait son attaque. Le peuple russe, du temps de l’URSS, avait payé le prix fort pour repousser l’invasion nazie. Et c’est cette dérive qui interpelle. Elle interpelle car quelles que soient les tares de l’ordre mondial, et elles sont légion, rien ne justifie le recours à la force pour le changer.
La guerre en Ukraine est une guerre d’une autre nature, différente de toutes les guerres post-deuxième guerre mondiale. Elle a un avant-goût de guerre mondiale et annonce un monde éclaté. L’Ukraine, comme l’avait prédit le stratège américain Zbigniew Brezinski (in «The Grand Chessboard») il y a de cela trois décennies, est le trou noir de l’ordre post-guerre froide. Hélas, il ne s’est pas trompé. Nous rentrons dans un monde hobbesien où la force prime sur la raison, et la raison du plus fort est la meilleure. Dérive inquiétante. Il ne s’agit pas de choisir son camp, d’un bord ou de l’autre, mais celui de la justice. La force avait toujours la main haute dans les relations humaines, mais on aimait se berner par la chimère de la justice qui aurait son mot. Certes, comme disait Pascal, «la justice sans la force est impuissante, mais la force sans la justice est tyrannique».
On ne peut être dans les deux poids, deux mesures ; même si nos voix, de l’autre côté du monde «civilisé», sont inaudibles et ne comptent pas. L’agression de la Russie contre l’Ukraine est aussi condamnable que celle des Etats-Unis en Irak en 2003, comme est condamnable le comportement sélectif, restrictif, voire raciste contre les flux de migrants qui n’auraient pas la même peau ou les mêmes cheveux que «l’homme blanc».
La grandeur de la Russie ne provient pas de ses ogives, mais de l’apport de son grand peuple à la saga humaine, par sa pensée, ses techniques, son savoir, son art. C’est le pays de Pouchkine, Tolstoï, Tchaïkovski. Il ne s’agit nullement de faire le procès de la Russie, mais d’une politique qui a tout l’air d’un remake du contexte de la deuxième guerre mondiale et qui menace le monde.
Le monde de demain ne sera plus celui d’hier. Finis la mondialisation heureuse, le soft power, la dissuasion, «it’s the economy, stupid», et autres lubies, dont nous avait gargarisé «the indispensable nation». L’arrogance n’a jamais été une bonne politique, et elle sécrète son avatar, l’aventurisme. Le diktat de Versailles portait en limbes le spectre de Hitler. Je m’arrête là.
Un pays pourra changer la donne en se tenant à l’écart du confit du grand Occident, la Chine. Dans l’inaction, il y a action comme disait Lao Tseu. Ainsi le grand stratège chinois aura triomphé sur Clausewitz, pour qui la guerre est la continuité de la politique par d’autres moyens, fussent-ils dévastateurs.
Par Hassan Aourid, conseiller scientifique de Zamane