Les toutes dernières élections législatives feront-elles date dans notre longue quête démocratique ; ou bien ne sont-elles qu’une banale copie statistiquement actualisée des précédentes consultations populaires ? Il est vrai qu’aucun suffrage universel et pluraliste, même dans les démocraties les plus confirmées, n’a été totalement exempt de contestations et de cris horrifiés à la fraude électorale. Un exemple d’actualité et de dimension mondiale, la campagne pour les présidentielles américaines qui déploie, sous nos yeux ravis et étonnés, ses beaux spectacles forains. Elle nous renvoie au scrutin qui devait départager George W. Bush et Al Gore, en 2004, et à ce recomptage laborieux des voix pendant des semaines. Evoquer cet épisode, toutes proportions gardées, n’est pas pour excuser le retard à l’allumage de notre apprentissage du vivre et être gouverné en démocratie. La récente consultation, qui se voulait une avancée sans équivoque dans le processus démocratique, a été bel et bien entachée d’irrégularités, dénoncées par la quasi-totalité des formations engagées. Des irrégularités à géométrie variable, pas toutes perceptibles. Des partis ont cannibalisé les candidats du voisin. Quant au recyclage de l’argent sale en contrepartie d’un vote commandé, c’est pratiquement entré dans nos mœurs. A titre de réconfort relativement positif, disons, tout de même, que nous avançons, pour peu que nous sachions vers où et vers quoi.
Quelle carte politique le scrutin du 7 octobre 2016 a enfantée et à quel programme de gouvernement serons-nous livrés ? S’il y avait à retenir l’essentiel, ce serait ceci : deux principales forces en présence ont été avalisées. Le PJD est désormais confirmé dans sa primauté suffisante, au point de l’annoncer avant même la proclamation officielle des résultats. Le PAM, lui, est encore mieux installé dans sa montée «fantastique». Une bipolarité qualifiée de préfabriquée par nombre de partis, particulièrement l’Istiqlal, l’USFP et le PPS. Elle aurait conditionné l’acte de vote et faussé l’issue du scrutin. Un tassement qui a réduit ces partis historiques à leur plus simple expression électorale. La «Rose» un peu plus que la « Balance » ; quant au « Livre », il était loin d’avoir meilleure mine le jour d’après. Il est vrai que les scrutins les mieux encadrés par les analyses les plus fines et les plus réalistes peuvent réserver des surprises édifiantes. En rapportant cette hypothèse ouverte à notre réalité politique, un constat est d’ores et déjà fait. Les Istiqlaliens et les Usfpéistes n’ont raté aucune occasion pour adresser leurs critiques les plus acerbes à Benkirane et à ses alliés ; après que l’Istiqlal de Hamid Chabat a quitté le gouvernement, à mi-mandat de la précédente législature. Ce feu nourri a subitement cessé après le vote du 7 octobre. Les jeux étaient faits et le pragmatisme a fini par prévaloir dans la négociation d’une situation politique nouvelle, sans être vraiment inédite. Même s’il est mis à rude épreuve, l’attelage istiqlalo-socialiste pourrait amener les deux partis, plus le PPS, à rallier la prochaine coalition. Surtout que le compte y est en termes de sièges pour former une majorité parlementaire. Le vœu de Benkirane de gouverner avec une Koutla ressuscitée serait alors exaucé. Sauf que cette voie royale ne concerne pas que les partis historiquement marqués. D’autres formations, qui ont une certaine présence dans le champ politique, ont déjà manifesté leur disponibilité à faire partie d’une coalition gouvernementale quelle que soit sa composition. A l’exception du PAM. Difficile de les renvoyer sans autre forme de justification. Reste le sort du PAM qui, de toute façon, sera dans l’opposition ; mais un peu plus isolé qu’auparavant. Ses 102 sièges parlementaires n’y changeront rien, son score imposant étant insuffisant pour le catapulter aux manettes du pouvoir. Le fait que la première place lui ait échappé a été reçu comme un rendez-vous manqué avec l’objectif fixé. Enfourcher les manifestations de protestation et de douleur suite à la mort tragique du poissonnier Mohcine Fikri, le vendredi 28 octobre au soir, ressemble à un rattrapage pathétique. Une posture étonnante qui n’est pas faite pour le remettre en selle.
YOUSSEF CHMIROU
DIRECTEUR DE LA PUBLICATION