Où il est question de mémoire, de culture et de Casablanca. Celui d’hier, d’aujourd’hui et de demain.
Ecrire sur la culture à Casablanca, et précisément la politique culturelle de la plus grande ville du Maroc, ne serait-il pas répéter encore ce qui a déjà été dit, à maintes reprises, à propos de l’état de la culture au Maroc, dans les pays arabes, africains et, généralement, tous les pays qui n’arrivent pas à franchir le pas du développement structurel, exactement par manque, entre autres, de politiques culturelles répondant à cet objectif ?
Dans un premier temps, je me suis demandé à qui ce texte devait s’adresser ? Aux élus municipaux, au maire, au gouvernement, aux artistes, aux professionnels de la culture, aux lecteurs tous azimuts… Finalement j’ai choisi de m’adresser à mes enfants, pour leur dire que leur père, avec d’autres, ont essayé. Et que nos décideurs ont décidé, tout seuls, qu’ils doivent savoir ce qu’un enfant va jouer, quels textes et quelles mises en scène, avant qu’il apprenne à pratiquer le théâtre. Comme une manière de contrôler ce qu’il n’a pas encore l’intention de faire. Il faut dire à nos enfants que nous avons tenté, maintes fois, de convaincre nos responsables municipaux que la culture, pour une grande ville, est un moyen d’attirer l’investisseur et le touriste, de permettre aux habitants de passer, de temps en temps, à autre chose dans leurs vies quotidiennes. Qu’elle a même une utilité sociale, dans les liens qu’elle tisse et dans la mise dans l’espace public, d’une manière ludique et pacificatrice, des questions qui risquent si elles sont traitées autrement ou pas du tout, de compromettre la sérénité et la sécurité d’une communauté. Casablanca comprend des atouts que d’autres villes lui envient : cosmopolitisme, dynamique, impertinence, vitesse, argent, intelligence… Et pourtant les enfants, les jeunes, les étudiants, les adultes, les touristes, les investisseurs, les cadres, les travailleurs et les sans-emploi s’y ennuient. La capitale économique du pays n’a pas essayé de sauver son festival, qu’elle a perdu sans résistance. La ville n’abrite aucun musée public, aucune salle de musiques actuelles, possède un des plus anciens conservatoires du pays, longtemps fermé, et qui après ouverture, titube. Son théâtre municipal, abattu dans les années 80, est devenu un parc non entretenu, la salle des fêtes qui l’a remplacée est fermée depuis 20 ans. Un théâtre, à trop grand frais, est en train de pousser devant la wilaya en minéralisant le trop peu de verdure que la ville a hérité et qu’elle n’engendre plus, tout en détruisant sa fontaine mythique, ancrée dans la mémoire de tous les casablancais. A se demander comment se prennent les décisions, et quel est le lien avec les 12 complexes culturels municipaux existants, et qui fonctionnent davantage en réceptacle de meetings politiques et de réunions d’associations de quartier, que comme des lieux de vie artistique et culturelle pour les habitants, les artistes et les professionnels de la culture. C’est bien de politique culturelle qu’il s’agirait, quand nos élus et gouvernants, assimileraient la définition même de cette dernière, qui est le fait de séparer culture et politique. Que l’édile local a pour mission, en terme d’action culturelle, de rendre possible les choses sans vouloir se transformer en directeur artistique de la programmation de sa ville. Je porte le voeu que la nouvelle équipe municipale travaille pour que nous n’ayons pas honte d’être contraints d’expliquer à nos enfants que nous étions là en tant que spectateurs et inactifs témoins de la perte de mémoire, de créativité et de verdure de la ville que nous prétendons encore aimer. Nous serions, alors, obligés d’inculquer à nos enfants, par l’exemple, qu’il y a deux choix : militer ou partir. A bon entendeur.
Aadel Essaadani, Acteur associatif, co-fondateur de l’association Racines