Un nouvel épisode vient s’ajouter au feuilleton historique des relations tendues entre le Maroc et Amnesty. La fâcherie concerne cette fois un rapport d’Amnesty accusant le royaume d’espionner un activiste. Une passe d’armes s’en suit et en rappelle de nombreuses autres par le passé…
Le 22 juin dernier, un rapport publié par l’ONG britannique vient à nouveau épingler le Maroc. Selon ce document relayé par un réseau de médias, les services marocains auraient espionné le téléphone du journaliste Omar Radi grâce à une technologie de pointe. Le logiciel incriminé se nomme Pegasus, fabriqué par l’entreprise israélienne NSO Group. L’accusation d’Amnesty est doublement nuisible à l’Etat marocain. Elle insinue d’abord que Rabat n’hésite pas à entraver le travail des journalistes marocains en surveillant de près leurs activités, mais aussi que le Maroc fait affaire avec l’Etat hébreu, sapant ainsi l’image d’un pays ferme à l’égard d’Israël en solidarité avec le peuple palestinien. Il faut attendre le 27 juin pour entendre la première réaction officielle du Maroc qui, sans surprise, réfute les accusations. Par le biais d’un communiqué, les autorités se disent étonnées et répliquent que ces «allégations infondées s’inscrivent dans un agenda visant le Maroc, dont une partie est en lien avec des milieux vouant de la haine au royaume». Rabat demande par ailleurs à Amnesty «d’apporter les preuves tangibles sur le lien présumé du Maroc avec l’infiltration des téléphones de certaines personnes». La passe d’armes continue aujourd’hui et il semble que le Maroc songe à répliquer à Amnesty en fermant son antenne de Rabat. Une possibilité qui peut se lire entre les lignes, dans le communiqué des autorités marocaines : «Après la suspension, pendant plusieurs années, de la coopération avec cette organisation, elles n’ont constaté aucune évolution dans son approche qui puisse la distancier des dérapages qui s’inscrivent en faux par rapport aux règles de défense des droits de l’Homme dans leur dimension universelle, loin des calculs des lobbys et des centres de pression en déphasage avec la protection de ces droits».
Une rhétorique désormais routinière des relations historiques entre les deux parties et commencée sous le règne de feu Hassan II. La première mission d’observation d’Amnesty International au Maroc date en effet de 1963 lors de l’épisode du procès des Bahaïs accusés de renier la foi musulmane au profit d’une «secte». Deux ans à peine après sa fondation, Amnesty fait ainsi la connaissance du royaume qui deviendra souvent l’objet de ses rapports. La seconde mission s’effectue lors du procès des militants ittihadis de l’UNFP devant le tribunal de Rabat entre 1963 et 1964 où plus d’une centaine de militants sont accusés de crimes, allant de la conspiration à la planification d’une rébellion armée contre le régime. Tout au long des années de plomb, Amnesty ne cesse d’envoyer, avec l’accord du Maroc, des observateurs chargés de rédiger un rapport sur les procès jugés sensibles. Ils dénoncent pour la plupart des «jugements politiques» et des «entraves aux libertés». Dans une phrase restée célèbre, le roi Hassan II, interrogée par une journaliste de la télévision française durant l’émission «L’Heure de Vérité» en 1989 qui fait référence à un rapport d’Amnesty sur l’existence de bagnes secrets, répond: «Je peux vous assurez Madame que si je savais que le 1% de ce qui est écrit dans ce rapport que je n’ai jamais lu, était vrai, je puis vous assurer que je n’en dormirais pas et que je ferai d’abord ce qu’il faudrait pour que cela cesse». La relation complexe entre le royaume et l’ONG ne s’est pas arrêtée à cet épisode. Pour rappel, la dernière fermeture du bureau d’Amnesty au Maroc date de 2015.