Le secret de la Marche Verte était manifestement bien gardé. Des câbles diplomatiques de la CIA, récemment déclassifiés, indiquent que les alliés américains et espagnols ne connaissent pas vraiment l’intention du souverain marocain concernant le Sahara à l’aube de l’année 1975. Une «attaque militaire» sur le Sahara et l’Algérie y est même évoquée…
Va-t-il attaquer les forces espagnoles au Sahara ? Oserait-il s’en prendre militairement à l’Algérie ? Dès 1972, les questions se bousculent lors des rencontres diplomatiques entre les pays ayant des intérêts au Maroc. Le roi Hassan II devient un véritable casse-tête pour ceux qui tentent de décrypter sa stratégie après qu’il ait subit sa seconde tentative de coup d’Etat à l’été 1972. Un flou aujourd’hui révélé par des câbles diplomatiques de l’agence de renseignement américaine, qui sont désormais déclassifiés. Repérées par la presse occidentale, ces informations confirment que le secret de la Marche Verte a résisté aux agences de renseignement occidentales. Le document qui le prouve fait état d’une conversation datant du 4 octobre 1975 à Washington entre Henry Kissinger, alors Conseiller à la Sécurité Nationale, et le ministre espagnol des Affaires étrangères, Pedro Cortina. Dans une séance de partage des informations, c’est d’abord le diplomate américain qui confie à son homologue la probable intention du Maroc d’attaquer les forces espagnoles qui occupent le sud du royaume. Henry Kissinger prétend avoir tout fait «en exhortant le roi à ne rien entreprendre». Les Américains l’auraient «mis en garde» contre une telle entreprise, tout en l’invitant à négocier avec Madrid. De son côté, avant de surenchérir, le diplomate ibérique confirme que son pays est «prêt à négocier un accord avec Rabat concernant le Sahara», tout en précisant qu’il est «important de garder la forme du référendum d’autodétermination avec les garanties de négocier et de satisfaire les parties. L’autodétermination ne signifie pas l’indépendance, mais c’est l’une des options à intégrer pour donner une crédibilité». En clair, et bien qu’elle ne veuille pas se retirer complètement de la région, l’Espagne est prête à des concessions et souhaite surtout un dénouement pacifique dans la question du Sahara. Mais ce n’est pas tout, au petit jeu de la confession, Pedro Cortina va encore plus loin. Selon lui, Hassan II pourrait même aller jusqu’à «attaquer l’Algérie» dans l’optique de s’assurer la mainmise sur la politique saharienne. Une «révélation» bien entendu erronée et qui suscite l’étonnement de Kissinger qui rétorque : «Ils (les Marocains) ne sont pas fous à ce point». Face à ces tensions que les deux diplomates considèrent inévitablement guerrières, la discussion bascule sur le rôle des uns et des autres dans l’armement des Forces armées royales. L’occasion pour l’Espagnol de reprocher aux Américains la vente d’armes au Maroc. L’Américain s’en défend en affirmant : «Nous ne lui avons pas donné beaucoup d’armes, environ 20 millions dollars». Au final, ce n’était pas la guerre que prévoyait Hassan II, mais une marche pacifique que personne, même les personnages les mieux informés de cette époque, n’ont pu deviner.