« La nature a horreur du vide, la politique aussi ». Force est de reconnaître que cette lapalissade résume le contexte actuel au Maroc. Le sentiment qui prévaut est, au mieux, un pays en attente d’on ne sait quoi, au pire, un État à l’arrêt sans savoir pourquoi. Ni l’une, ni l’autre de ces deux hypothèses n’est prenable pour un Maroc censé être en plein mouvement pour assurer son statut de pays émergent. Lorsqu’on met le curseur sur les opérateurs économiques, comme révélateurs sur le moral de tout le reste, c’est la posture dubitative qui est à l’affiche. Une de leurs composantes essentielles, ne serait-ce qu’en nombre, les petits et moyens entrepreneurs, sont plus explicites. Beaucoup plus qu’auparavant, ils hésitent à deux fois avant de mettre leurs sous dehors. Ils sont plutôt inquiets pour la survie de leurs affaires. Manque de chance pour ceux qui n’ont que leur force de travail à offrir, ces unités productives sont les plus grandes pourvoyeuses d’emploi. Les hommes d’affaires des plus grandes institutions financières ne sont pas plus rassurés. Ils sont à l’écoute des moindres frémissements de la politique économique. Et puis, il est un secret de polichinelle que nombre d’entre eux s’aménagent l’éventualité d’exiler leurs capitaux sous d’autres cieux. Au cas où… Lorsqu’elle n’est pas exploitée, cette brèche illégale reste une assurance mentale. Ce que les gros comme les petits opérateurs économiques ne peuvent en aucun cas supporter, c’est l’absence de réponses à leurs questions légitimes. La navigation à vue, c’est ce qu’ils détestent le plus. Ils ont un besoin vital d’horizons bénéfiques et réellement prometteurs au moins à terme, si ce n’est carrément à court terme. Comme partout dans un système libéral, lorsqu’un segment s’enrhume, c’est toute l’économie de marché qui éternue. Quand on demande à ces chefs d’entreprises de toutes dimensions, pourquoi ce pessimisme plus ou moins affiché, les plus explicites d’entre eux incriminent le manque d’informations fiables sur la situation politique du pays. Emballage verbal mis à part, le plus lambda des citoyens ne dirait pas le contraire. La mère des questions porte, précisément, sur le pourquoi de ce champ politique qui ne dit plus rien à quasiment toutes les catégories socio-économiques du pays. Un peu comme si les politiques bégayaient tellement que leurs propos soient devenus inintelligibles, inaudibles. Ils ont en charge l’encadrement politique des Marocains, voilà qu’ils s’avèrent presque incapables de se prendre en charge par eux-mêmes. Et pourtant, frapper encore et encore sur les partis politiques peut paraître une option de facilité. Une pratique constamment utilisée sous le règne de Hassan II, avant de devenir ouvertement contreproductive. Jugés viscéralement opposés à l’institution monarchique, en tant qu’éléments déstabilisateurs, ils ont été affaiblis à l’extrême. L’exercice du pouvoir qui leur a été accordé, à la fin du même règne, sous le signe de l’alternance, ne leur a pas permis de se refaire une santé proportionnelle à leur force potentielle d’antan. C’est à croire que l’exercice effectif du pouvoir exécutif ne leur a pas réussi. Sauf qu’il ne faut pas, non plus, mettre leur état de délabrement progressif entièrement sur le compte de la répression d’autrefois. La gestion en interne, qui a fait imploser les plus historiques d’entre eux, y est pour quelque chose. Les petits derniers, tels le PJD et le PAM, qui semblent faits pour s’annuler mutuellement, n’en sont pas quittes non plus. L’exercice du pouvoir, pour les uns, et la quête éperdue du pouvoir pour les autres, n’ont pas été concluants ; avec une mention aggravante pour les islamistes du PJD. Le discours de ces derniers, à partir de la tribune officielle, ne fait plus le plein. Autant Abdelilah Benkirane avait l’art et la manière de dire des choses graves, autant son successeur et son alter ego du parti, Saâd-Eddine El Othmani, est loin d’être un draineur et un harangueur de foules. Benkirane semblait prendre à la légère la chefferie du gouvernement, au point d’en être débarqué ; El Othmani, lui, a des difficultés à l’incarner aux yeux du grand public. Au parlement, prisonnier d’un langage à référentiel unique, il semble débiter une récitation de collégien. Pour donner l’impression que la panne actuelle de communication avec le public n’est pas du fait des instances de l’État, mais juste d’une administration gouvernementale sous couvert du parlement, M. El Othmani ne pouvait pas donner plus que son capital discursif. Après chaque Conseil de gouvernement hebdomadaire du jeudi, on donne lecture des projets de loi produits par le gouvernement. Comme si ces textes législatifs pouvaient changer le quotidien des gens. De toute façon, même par ministres et chaînes télé interposés, le récit est tellement rébarbatif qu’il est sitôt dit, sitôt passé aux oubliettes. Un rituel qui ne répond pas aux doléances des couches populaires, pas plus qu’il ne rassure les opérateurs économiques.
À l’évidence, ce n’est pas cela qui va redonner vie au champ politique.
PAR YOUSSEF CHMIROU
DIRECTEUR DE LA PUBLICATION