Quel sentiment suscite aujourd’hui le terme «capitalisme»? La réponse est toute simple : il a mauvaise presse. Et cela ne date pas d’aujourd’hui. Il a été, dans la foulée de l’industrialisation et des capitaines d’industrie, le moteur des révolutions bourgeoises du XVIIIe siècle contre l’aristocratie dominante, ses rentes viagères héritées et son « sang bleu ». C’était le temps où le capitalisme était révolutionnaire. Très vite, il a fallu déchanter, sous les coups de boutoir des théoriciens du marxisme et des réalités sociales. Le capital est devenu synonyme de possession du pouvoir financier et politique. Les fabriques n’étaient plus que les lieux d’exploitation d’un prolétariat naissant. Le collectivisme marxisant, à la soviétique, avait le vent en poupe. Il devait permettre l’avènement d’un bonheur absolu où l’homme n’est pas un loup pour l’homme. Pari possible ou rêverie utopique ? Toujours est-il que rien de cela ne s’est produit, ni sur le tableau de la croissance économique, ni sur celui du bien-être social.
Comment avons-nous, au Maroc, accompagné cette évolution ? Avec l’installation du protectorat, le 30 mars 1912, il y eut un « avant » et un « après ». Le Maroc des images littéraires de Pierre Loti et des tableaux de Delacroix s’est progressivement estompé. Sans réellement disparaître, la terre n’était plus l’unique moyen de production à côté d’un négoce, tout de même ancien, basé sur les comptoirs portuaires. Une bourgeoisie compradore est née dans le sillage de la colonisation mercantile. Après l’indépendance, ce noyau avait suffisamment pris racine pour éclore et prospérer. Au point que l’on a pu parler d’un groupe omniprésent, aux allures de classe sociale constituée. La marocanisation du début des années 1970 n’a fait qu’accentuer la tendance. Un secteur privé était né. Il fut entouré de toutes les précautions d’usage pour favoriser son épanouissement. Du coup, les acquis et les droits sociaux ont souvent été passés par pertes et profits. Plus grave, bon nombre de représentants de ce microcosme flamboyant ont d’abord fait un passage fructueux par les organismes de l’Etat.
Au final, le Maroc a eu ses opérateurs et ses entrepreneurs, à titre de relais indispensable à une économie de libre entreprise. Mais à quel prix ! Le capitalisme financier, plutôt virtuel que réel et productif de richesse, est à l’origine de la crise économique mondiale actuelle. Il n’est pas fait pour nous réussir, à nous, non plus. Aujourd’hui, nous vivons les temps de la mondialisation, de la globalisation et de l’uniformisation par l’économie de marché. Le Maroc s’y accroche, tant bien que mal, avec des atouts indéniables et des déficiences structurelles qui restent à dépasser. Comment être en phase avec le nouvel ordre économique du monde et ses impératifs d’accompagnement politique, particulièrement au niveau des soubassements démocratiques perfectibles et de l’immense demande sociale ? C’est là toute la question, surtout dans le contexte actuel du monde arabe, au regard de ce qui se passe en Tunisie et en Egypte. Une actualisation est nécessaire pour des lendemains qui frappent déjà à la porte.
Youssef Chmirou
DIRECTEUR DE LA PUBLICATION