En l’an 1494, l’Europe découvre l’Amérique, oblige le Maroc à se retirer de l’Andalousie et entame une longue opération, lente et progressive, en vue de couper notre pays de son prolongement africain. Depuis ce jour, l’Europe entreprit au moins deux choses à l’égard de l’Afrique. La première : la séparer de la seule entité de son nord qui a résisté des siècles durant pour défendre sa culture et sa personnalité de l’Atlantique au Nil. Deux : réécrire l’histoire afin de présenter ce continent comme une réserve de primitivité et de sous-culture. Mais, en fait, l’Afrique était devenue une source de richesses naturelles et de muscles à exporter vers les grands domaines du continent nouvellement découvert. La période coloniale n’a pas arrangé la situation, elle a juste affiné les arguments qui ont guidé la pensée des premiers conquérants.
Depuis l’indépendance, on continue à importer tout bon marché, les muscles, les sportifs, qu’on élève comme n’importe quels mammifères dans des serres ; on sélectionne les meilleurs et on offre le reste aux autochtones. C’est le cas pour les pépinières de football qu’on installe partout en Afrique. C’est aussi le cas pour d’autres sports, où des athlètes africains sont recrutés par des chasseurs de têtes.
Depuis peu, c’est autour de l’art. Des courtiers au service de musées de galeries et d’institutions de tout genre, sillonnent l’Afrique à la recherche d’artistes, d’objets d’art, de rythmes, d’idées surgies du chaos dans lequel vit ce continent. Là aussi, la sélection du meilleur est à l’oeuvre.
Mais, en art, les choses sont différentes par rapport au sport ; si ce dernier cherche la performance et décide de ses règles, l’art est une affaire de goût comme on a pris l’habitude de le dire. Il y a donc nécessairement intervention de ces courtiers qui se font souvent appeler des curateurs ou des commissaires. Ce qui se passe dans l’art visuel se passe aussi dans d’autres formes artistiques. Notre pays n’est point épargné. À ce propos, le Musée Mohammed VI peut jouer un rôle important. La dernière exposition, «L’Afrique vue par ses photographes», pousse à cette réflexion. N’est-il pas possible de faire du Maroc le carrefour artistique du continent appelé à jouer un rôle majeur dans la création internationale ? Cela pourrait permettre à l’Afrique, pour qui nos responsables essayent d’initier une nouvelle approche, de garder ses richesses ou du moins de ne pas les brader comme cela se fait aujourd’hui. Mais il s’agit d’opérer un grand changement dans la philosophie adoptée jusqu’à présent vis-à-vis de l’Afrique. Si le Maroc renforce ses institutions artistiques en les dotant de moyens, il pourrait devenir le carrefour de cette richesse, qui souvent transite par notre pays pour aller se faire stocker ailleurs.
Le Maroc est l’un des plus grands héritiers de l’art africain et cela va de la musique aux traditions populaires du spectacle, à la fabrication des tissus ou tout produit usuel. Il suffit d’interroger l’histoire, elle a un grand enseignement à nous donner à ce sujet.
Par Moulim El Aroussi