Elle est devenue en quelques années l’incontournable figure de la recherche dans l’histoire maritime du Maroc. Leïla Maziane s’est d’abord fait connaître par son enquête référence sur les corsaires de Salé publiée en 1999. En élargissant ses horizons de recherche, elle est aujourd’hui en mesure de nous révéler l’importance ignorée du monde marin dans l’histoire de notre pays. Tout en démontant les clichés sur les Marocains et la mer, elle nous révèle dans cet entretien passionnant que le pays était jadis une puissance maritime crainte dans la région. Que l’activité de la course lui a permis de rester branché au concert des nations, et que son rapport à la mer a déterminé le sens de son Histoire. Croisière avec une exploratrice qui a toujours su garder le cap…
Dans votre dernier ouvrage, «L’Oriental et la Méditerranée – Au-delà des frontières», vous délaissez l’histoire de la façade atlantique pour nous plonger dans celle de la Méditerranée. Pourquoi ?
Parce qu’elle est au moins aussi intéressante et que, historiquement, la relation entre le Maroc et la mer commence d’abord sur ce littoral. C’est en effet par la Méditerranée que les peuples antiques, phéniciens, grecs, puniques ou encore romains, signalent ou fondent des ports tels que Russadir (actuelle Melilia), Parientina (près d’Al Hoceima) ou encore Tingis (Tanger). Cette région est donc la première porte d’entrée de notre histoire, le berceau de notre rapport à la mer. L’idée de ce livre est aussi plus largement de comprendre comment les Marocains ont développé leur culture maritime au contact des puissances régionales dès la plus haute antiquité. Depuis cette période, les mouillages que j’ai cités, ainsi que d’autres, n’ont cessé de se développer, intégrant progressivement les circuits économiques du monde méditerranéen.
Ne dit-on pas du Maroc qu’il est un pays historiquement distant de la mer et que les Marocains en éprouvent même une certaine crainte ?
C’est l’un des stéréotypes qui ont la peau dure. Un cliché qui a notamment été véhiculé par l’historiographie coloniale. Je pense par exemple à Louis Brunot, qui affirmait que les Marocains n’ont pas le pied marin, ou encore Xavier de Planhol qui élargissait cette caractéristique à l’ensemble du monde musulman. Mais en se penchant plus objectivement sur l’Histoire du Maroc, nous constatons que la mer y est omniprésente, et ce par différents biais. Les activités les plus anciennes relèvent de l’économie vivrière côtière, comme le commerce de cabotage et la pêche, surtout en Méditerranée. Dès la période médiévale, la vocation maritime de l’état marocain est confirmée. La mer devient même un facteur clé pour la construction et le développement des empires, à travers notamment une économie maritime solide où les revenus du commerce maritime tiennent une place de choix. Christophe Picard, le grand médiéviste français, l’explique formidablement dans sa thèse sur les musulmans et l’Atlantique. Sous les Almoravides, comment voulez-vous administrer un tel territoire, et ses milliers de kilomètres de façade maritime, si vous avez peur de la mer ? Cette idée n’est pas cohérente, surtout lorsque l’on se penche sur les chiffres, tant sur le nombre de ports et des arsenaux qui sont construits à cette époque que sur leur vitalité à travers les flottes mobilisées. Les Almoravides, qui sont pour rappel originaires du désert, ont été capables d’aligner une flotte de 300 navires pour défendre l’île de Majorque contre l’avancée chrétienne. À titre de comparaison, les corsaires de Salé, qui ont la part belle dans l’histoire maritime du pays, ne comptaient, quelques siècles plus tard, que des flottes avec au maximum une quarantaine d’unités.
Propos recueillis par Sami Lakmahri
Lire la suite de l’interview dans Zamane N° 134