Les artistes nous ont habitués à faire des portraits de personnages illustres, ou leur propre portrait ; bref, des portraits d’êtres vivants parmi les humains. Les portraits des êtres inanimés de la nature et de l’industrie ont rarement été rencontrés dans l’art, et encore moins dans la scène artistique marocaine. Mais voilà qu’un artiste marocain, et depuis plusieurs années, s’attèle à la réalisation du portrait d’un objet. Imaginez un village que vous traversez assez souvent en allant de Marrakech à Essaouira, ou l’inverse, et que parce que la circulation y est tellement difficile que vous ne voyez ni humains, ni animaux ni même les objets. Il s’agit de la localité de Sid Lmokhtar, située à 25,9 Km de la sortie de Chichaoua quand vous quittez l’autoroute Casablanca/Agadir et à 71,77 km d’Essaouira, selon les informations fournies par Google. Dans ce chaos où se mélange créatures de la nature et inventions technologiques, là où on ne distingue que difficilement les sons des klaxons des braillements des bourricots, l’œil de l’artiste a pu quand même repérer quelque chose d’insolite. La mythique R12 semble avoir élu domicile dans ce coin perdu du monde. Quelque chose qui ressemble à un cimetière mécanique d’une certaine production automobile du 20ème siècle où quelque chose comme trois cent véhicules de cette marque partagent l’espace.
Comment ont-elles atterri là, qui les a autorisées ? L’artiste ne donne aucune réponse ou n’en a pas du tout. Par contre, il sait qu’elles ont été récupérées pour être transformées et réutilisées dans le transport clandestin sur les pistes des campagnes environnantes, pour relier les villages plus ou moins isolés et enclavés. Elles transportent des élèves, des maitres d’école, des infirmiers, des marchands et d’autres voyageurs, etc.
L’artiste photographe Khalil Nemmaoui transforme ce phénomène en une œuvre artistique. Il commence d’abord ses repérages et ses investigations, avant la réalisation des photos où ces dames métalliques posent dans des décors naturels ou architecturaux. Le design assez particulier de ces véhicules, qui ont vécu parmi nous le siècle dernier, surprendra les passionnés de l’automobile. Le photographe s’est transformé en sociologue menant une enquête minutieuse sur les origines et la destinée de ces objets. Les moteurs sont transformés pour rouler au propane (bouteille de gaz). Un genre de recyclage spontané. Selon l’artiste : « Ces « Chariots de la mort », contrairement à ce que l’on pourrait penser, n’ont fait qu’un seul accident depuis des années, selon les dires des conducteurs. Ils sont parfaitement adaptés à la région, au pouvoir d’achat (une bouteille de gaz permet de rouler plus de 100 km). Les voitures sont recyclées, transformées des dizaines de fois, elles roulent toujours!».
L’artiste a refait, avec l’un des conducteurs, le calcul du kilométrage parcouru par l’un de ces engins ; le résultat est magique. Sa R12 a du faire 3,2 millions de km, soit 5 fois l’aller-retour terre/lune.
Surréaliste !