«La Cour d’appel de Casablanca a condamné à 3 ans de prison ferme un jeune homme, âgé de 21 ans, accusé d’avoir fait entrave au tramway de Casablanca, en faisant mine de prendre un café, attablé sur la voie ferrée. La scène, filmée et postée sur les réseaux sociaux, avait fait scandale».
L’information est donnée par toute la presse marocaine. Si le jeune n’avait bénéficié d’aucune clémence de la part du tribunal, la condamnation populaire était encore plus lourde. Sur les réseaux sociaux, il y en avait même qui appelaient le tribunal à le mettre devant le tram, afin qu’il vérifie par lui-même s’il pouvait l’arrêter.
En fait, la presse ne dit pas tout. La scène filmée et postée sur les réseaux sociaux avait été accompagnée d’un texte bien clair, où le jeune homme expliquait son action. «Je déclare à ceux qui ont mal interprété mon geste, le fait de vouloir arrêter le tram, que mon action n’est pas du tout téméraire ; je voulais montrer à la jeunesse marocaine particulièrement, et arabe en général, que nous pouvons arrêter toute chose susceptible d’entraver notre marche vers l’avenir; surtout au vu des harcèlements que le Maroc subit aujourd’hui de la part de l’Espagne ou les agissements des sionistes en direction des Palestiniens. Étais-je dans le tort ? L’essentiel pour moi, c’est l’idée».
Il est clair que le jeune homme avait bien réfléchi son action. Que l’on soit d’accord avec lui ou pas, il s’agit d’un acte hautement réfléchi qui prend pour base un engagement qui pourrait être politique.
Nous l’avons déjà dit ici même dans les colonnes de Zamane, quand nous avons évoqué, avec un brin d’ironie certes, l’acte de Benkirane lorsqu’il s’était insurgé contre ses camarades à propos de l’affaire du kif au Parlement. Nous avions alors évoqué, par la même occasion, l’acte du journaliste irakien contre le Président américain Georges Bush quand il lui avait lancé sa chaussure à la figure.
Le papier kraft de Benkirane, ainsi que l’acte de Muntazer al Zaïdi, pouvaient être classés en tant que performances spécifiques. Tous les deux avaient réfléchi leur acte, l’avaient préparé et mis en œuvre, chacun à sa manière, les actions médiatiques pour porter leur idée vers un grand nombre de récepteurs. C’est ce qu’on appelle aujourd’hui dans le langage de l’art contemporain une performance.
Ceci dit, le fait qu’elle soit artistique ne dispense pas son auteur des poursuites judiciaires. Avant de préparer sa performance, un artiste est tenu de voir et d’évaluer toutes les conséquences. Car, que l’artiste coure lui-même un danger et expose son corps à des dommages, cela peut ne regarder que lui (l’exemple de la performeuse serbe Marina Abramovic est éloquent ici) ; mais, qu’il expose les autres au danger, cela entraine naturellement l’intervention de l’État et ne peut être considérée comme une censure.
L’artiste fait son travail et le justice aussi. Cela pose évidemment la question de la transgression des limites dans l’art.
Allons-nous accorder à ce jeune homme au moins le titre de «performeur» ?
Par Moulim El Aroussi