Dans le coin du salon marocain de Mohamed Frej, à Rabat, une photo attire le regard. Le portrait de Mehdi Ben Barka donne le ton. Aujourd’hui âgé de 83 ans, cet ancien élu de l’USFP a vécu au plus près des évènements cruciaux de l’histoire contemporaine du royaume. Le carnage de janvier 1944, la déposition du sultan, son séjour à Saint-Germain-en-Laye et les péripéties marocaines de l’UNFP puis de l’USFP. Mohamed Frej, proche du leader disparu il y a 56 ans dont il nous livre quelques secrets, nous révèle également les coulisses d’un Maroc troublé. Témoignage de première main d’un observateur discret et impliqué de l’histoire politique du pays…
Vous êtes né en 1938, quels sont vos premiers souvenirs d’un Maroc sous Protectorat ?
L’un des premiers souvenirs de mon existence est un traumatisme. J’avais seulement 6 ans lorsque j’ai été témoin de la terrible répression contre les manifestants du 28 janvier 1944. À l’époque, nous possédions une maison dans la veille ville de Rabat, à proximité de Bab Laâlou. À l’issu d’une journée de protestation très agitée, j’ai donc vu débarquer chez moi une vingtaine de martyrs, la plupart blessés par balles. C’est en partie chez nous qu’ils ont reçu les premiers soins. Une vision d’horreur dont je garde des clichés comme dans un film. Très tôt donc, j’ai été témoin de la brutalité du pouvoir colonial et de la réalité de l’époque. Tout le monde, y compris les enfants, étaient concernés par l’actualité politique qui impactait notre quotidien tout au long des années 1940 et 1950. Mon aversion au système colonial a débuté avec les répressions de janvier 1944, et ce n’est pas la date du 11, soit celle de la publication du Manifeste de l’Indépendance qui m’a le plus marqué, mais bien celles des 28 et 29 du même mois.
Est-ce par hasard que votre domicile a servi d’hôpital de fortune en janvier 1944 ? Y’a-t-il une raison spéciale ?
Non, je pense que c’était un hasard. Tous les habitants de notre quartier étaient solidaires avec les victimes et pouvaient offrir des lieux de refuge. Mon père n’était pas un militant particulièrement actif, bien qu’il fut un membre de la cellule locale de l’Istiqlal. J’ai souvenir de quelques réunions des membres de sa cellule qui lisaient à haute voix les communiqués publiés par le parti. Notre famille, pas plus que les autres, était naturellement concernée par l’actualité politique du pays.
Propos recueillis par Sami Lakmahri
Lire la suite de l’interview dans Zamane N°132