Moi, j’ai fait l’école marocaine. Je suis devenu médecin. Mes enfants ont fait la mission française. Je ne le regrette pas et eux non plus. Mes petits-enfants vont faire l’école espagnole. Cela est certain. Géopolitique, trahison et double jeu français obligent.
Moi, j’ai grandi avec la bibliothèque verte, avec le bossu de Notre-Dame, le Quasimodo de Victor Hugo le «J’accuse» d’Emile Zola. Des films et des cinéastes français m’ont marqué ã vie tel «Et Dieu créa la femme» de Roger Vadim, avec la sublimissime Brigitte Bardot. Des films tirés des romans de Marcel Pagnol et réalisés par un Jean Renoir sont gravés à jamais dans ma mémoire, avec l’intonation d’un acteur formidable : Raimu.
Mon goût musical et mon attrait pour les paroles des chansons françaises s’est aiguisé avec la voix de Georges Moustaki avec sa légendaire chanson : «Le métèque». Mes premiers pas de danse se sont faits avec les chansons de Gérard Lenorman, sur les planches du théâtre Mohammed V de Rabat. Tout cela, c’était le résultat d’un partenariat culturel entre le Maroc et la France.
Moi, féru du cinéma, grâce au travail fabuleux du centre culturel français de Rabat, j’ai pu rencontrer à Rabat de grands acteurs français comme Nathalie Baye, Jean-Louis Trintignant et bien d’autres.
J’ai discuté avec un grand artiste mondial, décédé en 2021 : Jean-Claude Carrière, écrivain, scénariste, dialoguiste, metteur en scène et acteur. Scénariste de «Cet obscur objet du désir», la dernière réalisation de ce grand cinéaste espagnol qu’est Luis Bunuel, en 1977. Carrière est aussi le scénariste de ce chef-d’oeuvre allemand, «Le Tambour», de Volker Schlöndorff (1979), ainsi que des «Fantômes de Goya» (2005) du grand Milos Forman, que tous les Marocains connaissent grâce à «Vol au dessus d’un nid de coucou» avec l’inénarrable Jack Nicholson.
Il y a même quelques années, dans notre mythique théâtre Mohammed V, j’ai assisté à cette belle déclamation de poésie par la voix suave de Jean-Louis Trintignant, que j’avais interviewé pour le journal «Al Alam», début 1990, grâce à la collaboration du centre culturel français de Rabat.
À cause de la bêtise du gouvernement français actuel, de son comportement avec mon pays et à cause de sa fourberie, comme aurait pu dire Molière, je commence à me détourner de cette culture française qui m’a tant bercé dans mon enfance et dans mon adolescence, et qui continue de me sublimer jusqu’à maintenant.
Ce sentiment de rejet de tout ce qu’est français, je commence à le partager avec mes enfants et mes petits enfants.
Politiciens français, réveillez-vous, la Marocaine et le Marocain sont en train de tourner le dos à Molière et de tendre les bras à Cervantès.
Notre voisin ibérique nous ouvre son cerveau et son cœur. Parfois, sinon souvent, les sentiments vont de pair avec les intérêts.
La nature déteste le vide, et mon disque dur commence à s’auto-formater tout seul. Je vais effacer de mon imaginaire un Jean-Luc Godard ou un François Truffaut et je vais les remplacer par un génie du 7ème art, reconnu mondialement, un Espagnol, Luis Bunuel.
Je vais proclamer un divorce au 3ème degré, sans aucune possibilité de retour (loi islamique) avec un Louis Jouvet, un Michel Simon, un Yves Montand, une Simone Signoret ou une Sophie Marceau.
De belles actrices et de sublimes acteurs nous charment du côté du détroit de Gibraltar, Penélope Cruz, Javier Bardem (que je vais convaincre de la légitimité de notre Sahara marocain) ou Antonio Banderas. Ces derniers jours, j’ai relu, en français, ce merveilleux roman qu’est «Le vieil homme et la mer» d’Ernest Hemingway. J’ai voulu le conseiller à ma petite nièce. Elle m’a rétorqué : «The old Man and the sea». Lire ce roman en anglais est d’une éternelle jeunesse. En français, il n’y a de vieux que cette vielle femme, la France.
L’avenir du Maroc, du moins culturel, est dorénavant avec le monde anglophone et hispanophone. Tout le leg culturel francophone au Maroc est en train de s’effriter à cause d’une vieille France dirigée par un faux-jeune.
Par Dr Anwar Cherkaoui