L’Afrique aux Africains, tel fut l’appel du grand roi amazigh Massinisa. Mais elle avait cessé d’être exclusive aux Africains. Elle a connu le joug de la colonisation, et quand elle s’est détachée des rets de la domination, elle n’a pas rompu les filets de l’exploitation. L’histoire est connue, et on assiste, ici et là, à un réveil pour que l’Afrique soit aux Africains, sauf dans le pays qui a donné à l’Afrique son nom, l’actuelle Tunisie. Dans ce pays, on craint pour sa pureté «arabo-islamique» qui pourrait être menacée par les migrants sub-sahariens, à travers des plans ourdis par je ne sais quels milieux diaboliques. On croit rêver, mais ce n’est pas un rêve, mais plutôt un cauchemar. Le premier pays africain, refuse de s’ouvrir aux Africains. Le propos dépasse en intensité les propos racistes des milieux les plus chauvins de l’Europe.
C’est la géographie qui commande le génie propre d’une nation, et la Tunisie est d’abord méditerranéenne, peut-être le pays plus méditerranéen de la rive sud. Cela ne se mesure pas par la longévité de ses côtes, mais par le rayonnement de ses pôles, Carthage bien sûr, Syphax et autres comptoirs, qui étaient les vis-à-vis de la Sardaigne et de la Sicile, alors qu’ailleurs on ne trouve qu’un pôle : Cirta, Syrte, Cyrène ou Alexandrie.
Et la Tunisie est africaine, ne serait-ce que parce qu’elle a donné son nom à l’Afrique.
Elle est devenue arabe et tunisienne par un mouvement de l’histoire. On ne peut nier cette dimension, et elle est valable pour l’Afrique du Nord, mais pour ma part, je ne peux que m’insurger contre toute appartenance réductrice. Le «purisme» arabo-musulman est réducteur et dangereux. Il est dangereux car c’est un appauvrissement, et il l’est autant, parce que c’est un avatar du «purisme» de l’extrême droite européenne qui se veut «blanche et chrétienne». Pas étonnant qu’ils soient, ces milieux de l’extrême droite, les plus prompts à louer la déclaration du président tunisien Qays Saed, contre le «grand remplacement», chez les remplaçants cette fois-ci. On vous l’a dit, s’égosille-t-on, sous cape.
La déclaration de Saed sur le danger que ferait peser la migration sub-saharienne sur ses configurations arabo-islamiques de la Tunisie est plus qu’une bourde, mais une faute. Et une faute se répare, autrement dit, elle se paye. Car comment des musulmans, subissant les affres de l’islamophobie, et autres migrants en Europe aux prises de la discrimination, pourraient-ils se défendre, si un «arabo-musulman», prétend à la pureté raciale et culturelle ? Mais au-delà de la parité des normes, il s’agit d’une question de principe sur la non-discrimination de l’être humain, quelle que soit sa race, sa confession ou sa couleur.
Quant à nous, Marocains, n’oublions pas qui nous sommes. Africains nous sommes, et Africains nous demeurons. Et une migration vers le Maroc, accompagnée, est une opportunité, et la migration de nos élites vers les pays sub-sahariens, une chance. Good luck Mr. Saed.
Par Hassan Aourid, conseiller scientifique de Zamane