On peut imaginer la démocratie comme une partie de football. C’est un « jeu » aussi. Pour faire un bon match, il faut être deux (bonnes équipes). Si l’une des deux équipes n’est pas au niveau, ou refuse le jeu, le match est sans intérêt. Et le public s’ennuie.
Pour que la démocratie fonctionne et passionne le public, il faut que le « match » oppose deux grands idéaux, facilement identifiables. Généralement ceux de droite et ceux de gauche. Les deux idéaux drainent, chacun, un bloc de partis, qui vont du plus radical au plus modéré. Chaque bloc est emmené par un grand parti qui porte ses idéaux et les transforme en programmes politiques, qui deviennent une proposition et une offre à soumettre à la vox populi.
Dans ce schéma basique, le public est roi. Il soupèse les deux offres et donne sa préférence à l’une ou l’autre. Il est roi parce qu’il a la possibilité de s’identifier à qui il veut. Il est roi parce qu’il fait signer au gagnant un contrat à durée déterminée, avec obligation de résultat et possibilité de résiliation à tout moment.
Avec le temps, ce « jeu » a développé un inconvénient : la surenchère. Dans leur course vers la victoire, et avec l’obsession de conquérir un nouveau public, les idéaux de gauche et de droite ont tendance à emprunter les uns aux autres. Ils ont fini par se rejoindre sur bien des points. Et ils ont cédé à la loi des consensus. Ce qui nous donne l’impression, aujourd’hui, que les grandes nations sont dirigées par des gouvernements de centre. Un centre à bascule, penchant plus ou moins à gauche ou à droite selon les saisons électorales.
Mais cela ne changera rien à la bipolarité-dualité, et à son meilleur avatar, l’alternance, qui reste un moteur essentiel de la vie politique des grandes nations. C’est l’alternance qui apporte la fraîcheur et oblige les perdants à renouveler leur machine.
C’est cela le jeu de la démocratie. Il ne peut avancer que lorsqu’il met aux prises deux partis, deux blocs, deux idéaux, deux pôles. L’histoire des démocraties occidentales, en Europe et en Amérique, est d’ailleurs une succession d’alternances et de jeux de passation entre la droite et la gauche. Le multipartisme et l’éclatement de l’offre politique n’y ont jamais rien changé. Au fond, à chaque consultation, le citoyen moyen en revient à l’essentiel. Alors il choisit entre le grand parti de droite ou le grand parti de gauche. Rien d’autre.
Ce modèle et cette façon de faire sont-ils exportables ? Il faut croire que oui. En effet, et contrairement à ce que l’on pourrait croire, cette bipolarité a aussi existé au Maroc. Depuis toujours. Tout va bien, alors, dans le monde des mondes ? Pas si vite. Quand on examine a posteriori l’historique des élections au Maroc, on ne voit aucune trace de cette dualité gauche-droite. Cette dualité existe dans la vie de tous les jours, mais elle s’évapore à un moment-clé : les élections.
Pourquoi ? Parce que la réalité des élections a toujours opposé un grand parti (de gauche ou de droite, peu importe) à un parti ou un bloc de partis plus ou moins dopés et soutenus par l’administration. Etant donné qu’elles ont le même adversaire, la droite ou la gauche issues du Mouvement national (Istiqlal et USFP essentiellement) font alors front commun et deviennent un bloc dit démocratique. Les multiples couleurs partisanes qui leur font face renvoient au final à un seul et même bloc : une représentation diffuse de la volonté de l’administration.
Ce schéma a fait son temps. Avec l’émergence d’un jeune et grand parti de droite (PJD), la fameuse « volonté de l’administration » tend à se dissiper derrière un autre jeune parti, le PAM. Si le PJD draine désormais le bloc conservateur en laissant l’Istiqlal loin derrière, le PAM essaiera d’en faire de même avec le bloc de gauche, supplantant au passage l’USFP.
Si l’idée d’un PAM conduisant ou récupérant les idéaux de gauche peut choquer les puristes, rien ne l’empêchera de poursuivre son chemin. Elle donne l’impression d’avoir été programmée pour cela. Ce n’est qu’un jeu, diront les sceptiques, mais il a un objectif : sortir le Maroc des schémas traditionnels et l’inscrire, enfin, dans cette bipolarité-dualité gauche-droite.
Par Karim Boukhari, Directeur de la rédaction