Pendant le ramadan, les non-jeûneurs peuvent être poursuivis par la justice pour avoir enfreint l’article 222. Si certains demandent son abolition, beaucoup s’interrogent aussi sur son origine trouble. Eléments de réponse.
Chaque année, le même scénario. Pendant le ramadan, des non-jeûneurs sont arrêtés puis, parfois, poursuivis en justice pour avoir enfreint l’article 222 du Code pénal, qui punit d’un à six mois d’emprisonnement et d’une amende de 200 à 500 dirhams quiconque «notoirement connu pour son appartenance à la religion musulmane, rompt ostensiblement le jeûne dans un lieu public pendant le temps du ramadan, sans motif admis par cette religion». Et comme tous les ans, cet article fait polémique, certains demandant purement et simplement l’abolition d’une disposition concoctée de toutes pièces par les Français. Mais ce texte est-il vraiment l’héritage encombrant du Protectorat ? Sur cette question, les visions s’affrontent. Beaucoup considèrent l’article 222 comme une disposition strictement coloniale, née sous le Protectorat, dans un contexte politique tendu, avec l’apparition du Front d’opposition de gauche, qui « a orienté nos lois vers plus de conservatisme et de religieux », estime Me Omar Bendjelloun, avocat pénaliste à Rabat et au barreau de Marseille. « Le but était d’identifier les jeûneurs, de séparer les musulmans des Européens, afin de parer à tout acte de rébellion. En 1963, après l’indépendance, il a fallu harmoniser tous nos textes de loi, inspirés de plusieurs sources de droit, et nous avons hérité de l’article 222 », poursuit-il.
« Faux », d’après Michèle Zirari, professeure universitaire à Rabat et auteure d’une thèse sur la formation du système pénal marocain. «Sous le Protectorat coexistaient deux ordres de juridictions : les tribunaux dits «français» qui jugeaient les Français et les étrangers, et les tribunaux « Makhzen » qui jugeaient les Marocains, sauf pour les questions familiales et successorales qui relevaient du Chraâ. Dans le domaine pénal, les tribunaux français, où siégeaient des magistrats français, appliquaient le Code pénal français à quelques restrictions près. Dans les tribunaux Makhzen, où la justice était rendue par des représentants du pouvoir (pachas et caïds en présence du contrôleur civil ou de l’officier des Affaires indigènes), les textes applicables étaient très succincts (deux dahirs du 4 août 1918). Pour la plupart des petites infractions, ces tribunaux jugeaient ‘en équité’, selon la formule utilisée alors. Il a fallu attendre 1953 pour qu’un Code pénal applicable par ces juridictions soit enfin publié, et qui ne prévoyait pas la sanction pour rupture du jeûne », explique-t-elle. Puis, à l’indépendance a eu lieu l’unification du droit pénal, en grande partie confiée à de hauts magistrats français, restés en poste au Maroc dans le cadre de la coopération, puisque le Protectorat avait formé très peu de juristes marocains. «Selon un de ces magistrats, avec qui j’ai eu l’occasion de m’entretenir il y a bien des années, l’article 222 aurait été introduit à la demande des magistrats marocains consultés sur le projet, raconte Michèle Zirari, ce fameux article 222 n’est donc pas un legs de Lyautey ni du Protectorat ». Toujours est-il qu’on s’en rappelle à chaque ramadan.