Il y a des indices qui paraissent, a priori, sans portée excessive, en dehors de leur champ propre, mais qui renseignent sur le mode de fonctionnement de la société; voire sur le modèle de gouvernance en place. Nous en avons un de ces indices barbares et révélateurs. Dans les milieux où se mijote la prise de décision, dans l’ombre, bien sûr, il y a même eu comme une gêne dont ils auraient bien voulu faire l’économie. Un bref retour sur les faits.
Ce qui est en question n’est rien d’autre que «l’heure légale». Un concept nouveau dans le parler du commun des citoyens où les mots disent intelligiblement ce qu’ils veulent bien dire, sans ce plus décrédibilisant. D’emblée, on se dit s’il y a une heure légale, c’est qu’il existe une heure totalement illégale. Or cette dernière n’a pas besoin de législation pour exister. Elle est l’expression naturelle du fonctionnement de l’univers. Il fallait qu’elle tombe sous la plume autarcique d’un législateur à qui on a fait perdre le nord, pour devenir hors-la-loi. Apparemment, l’heure GMT, traversant l’observatoire royal de Greenwich, près de Londres, n’est plus dans ses paramètres cosmiques et universels du temps où le soleil ne se couchait pas sur l’empire britannique. Le gardiennage de l’heure exacte au nom du reste du monde est-il toujours assuré malgré la noria des GMT+1, +2, etc.
Selon toute vraisemblance, notre gouvernement est en plein dans ce cafouillis. Un vrai feuilleton à épisodes très rapprochés.
Scène numéro un : le 23 octobre 2018, un communiqué du ministère chargé de la réforme de l’administration et de la Fonction publique, publié par la MAP, annonçait le retour à l’heure légale, sous l’estampille GMT tout court. Il était donc définitivement acquis que dans la nuit du dimanche 28 octobre, le Maroc allait retarder de 60 minutes ses horloges et autres moyens de mesure du temps qui passe et du temps qui reste. En clair, une heure de moins pour les somnoleurs invétérés ; ce qui est dur à encaisser. Mais soit, nul n’est censé ignorer la loi, à plus forte raison lorsque celle-ci est branchée sur un réveil qui n’en rate pas une de ces minutes précieuses d’un «sommeil légal».
Scène numéro deux : coup de théâtre, vendredi 26 octobre, un conseil de gouvernement exceptionnel s’est tenu avec un seul point à l’ordre du jour : où se situera la prochaine «heure légale» qui frappe aux portes ! Après avoir demandé l’heure à Saad Eddine El Othmani, décision est prise de s’en tenir à l’heure actuelle, GMT+1 pour l’année en cours et probablement pour toujours.
Scène numéro trois : à la veille de cette réunion, le jeudi 25 octobre, un conseil de gouvernement, ordinaire celui-là, avait eu lieu sans que les gouvernementaux aient cru nécessaire d’évoquer la question de l’heure légale à maintenir ou à dépasser par un saut arrière de 60 minutes. Ceci pour dire que 48 heures avant le jour J, l’opinion publique, tout comme les intervenants économiques à différents niveaux, n’étaient pas fixés sur leurs horaires d’activité ou de repos. Bref, un voile d’incertitude qui n’a d’égal que l’anarchie qui en sortira et occupera les esprits et les discussions durant le week-end du 27 et 28 octobre. On était à l’écoute, toute oreille dehors, pour essayer de déchiffrer des communiqués de presse et des JT qui ne brillaient pas par leur clarté pédagogique. C’est devenu une rengaine, à pareille période d’un réaménagement saisonnier de plus en plus improbable, on n’en finit pas d’ergoter sur les effets négatifs d’un pareil changement d’heure. L’éventail est large ; il traverse tous les secteurs sensibles, en prévision d’un impact plus ou moins effectif. Cela va de la santé perturbée au coût de consommation de l’énergie, en passant par les métiers de l’agriculture et la sécurité sur route ou dans les airs. Tous ces éléments, les uns dans les autres, renforcent l’idée d’une décision délicate qui touche à l’ordre naturel des choses. Sur ce sujet, les données qui vont avec ont été minutieusement répertoriées, identifiées et décortiquées. Notre problème quant à la manière de réagir, est ailleurs. Il est dans notre capacité de gérer un imprévu qui se confirme d’une année à l’autre. Cette semaine de fin octobre restera dans les annales, forcément en creux. On en est arrivé à se demander s’il y avait vraiment un chef à bord de cette nef gouvernementale qui tangue et prend l’eau, toujours un peu plus. Contrairement à la continuité de l’État qui ne peut souffrir d’aucune rupture, la continuité de ce gouvernement semble, plus d’une fois, faire faux bond en cours de route. La machine gouvernementale peut-elle résister à des effets beaucoup plus déstabilisateurs qu’un changement d’horaires administratifs ?
Le doute est largement permis par rapport à une instance exécutive qui devient évanescente chaque fois qu’une option décisive est à prendre.
La décision se fait attendre là où l’attente n’est pas recevable. La rotation de la terre par rapport à elle-même et au soleil ne peut pas attendre.