Notre entretien avec Abdellah Laroui, publié dans la dernière édition de Zamane (n°18) a été l’objet de multiples piratages de la part de médias marocains et arabes. La déontologie a été encore une fois bafouée, et de surcroît par une presse qui passe son temps à donner des leçons de conduite et de comportement à différents acteurs de la société marocaine. Ce n’est pas la première fois que des médias arabophones s’approprient illégalement des articles de Zamane, les traduisent à la va-vite, en font leur Une et quelques fois leurs éditoriaux, alors même que le numéro de Zamane est encore en vente. Tout ceci évidemment sans consultation, ni de notre rédaction, ni des auteurs des articles. Ces pratiques sont non seulement illégales, mais surtout illégitimes au regard de la déontologie qui régit la profession journalistique.
Notre première réaction vis-à-vis de ces rapts médiatiques a été d’interpeller aimablement ces « collègues » et de leur rappeler qu’il s’agit d’une propriété intellectuelle qui n’est pas encore tombée dans le domaine public et que, donc, toute reproduction ou traduction nécessite préalablement un accord des auteurs et de la revue. Mais il semble que le lien de droit et de la culture contractuelle ne fasse pas partie des comportements de ces « collègues ». La citoyenneté qui peuple leurs discours moralisateurs n’est qu’un artifice de langage, un vernis qui cache des pratiques de prédateurs. Il est vrai qu’un produit de qualité court le risque d’être volé, copié ou imité… mais nous espérions que le champ médiatique marocain et arabe ne ressemblerait plus à une jungle, mais à un espace de droit où la compétition est régie par des lois qui s’imposent à tous. Il y a encore un long chemin à parcourir… Nous ne désespérons pas !
Peuple
Je reviens d’un voyage en France, du 8 au 17 avril. J’ai parcouru le pays profond, de la Bretagne à la Provence et à la Côte d’Azur, de Cesson à Fréjus, avec seulement une escale de quatre heures à Paris. J’ai eu l’occasion de tâter le pouls des Français en cette période exceptionnelle de campagne électorale. Les médias français parlaient du désintérêt des citoyens à l’endroit de l’élection, tellement, disaient-ils, les débats étaient plats, les programmes flous et non attrayants. Mon observation, celle d’un étranger de passage, m’a permis au contraire de relever tout autre chose. Contrairement aux peurs de la conjoncture de 2007, j’ai noté un regain de passions, tissées autour de la reconstruction des convictions et des projets de société. La crise financière internationale et ses répercussions profondes sur les économies et les Etats de l’Union européenne, ont amené les citoyens à reconsidérer leurs représentations habituelles du politique et des formations qui l’animent. Les Français que j’ai pu rencontrer ne m’ont pas semblé désintéressés. Ils étaient « dans le coup ». Le positionnement de la France au sein de l’UE, la mondialisation du marché et les délocalisations des entreprises, le modèle français de solidarité sociale, l’immigration maghrébine et l’islam politique, le droit au travail et à l’éducation… Voilà autant de sujets qui étaient jadis l’objet de discussions de salon ou de plateaux télévisés, qui sont en 2012 l’objet d’échanges entre familles et copains, introduits souvent à partir des préoccupations quotidiennes. Loin des artifices, des spots publicitaires ou des petites phrases de professionnels de la politique politicienne, le discours de la France profonde s’est articulé autour d’un travail à conserver ou à trouver, de la qualité de la santé ou enfin de la sécurisation d’une épargne accumulée durant toute une vie… Sur ces bases-là, les positionnements anciens, motivés par des fidélités à des familles politiques, ont commencé à être remis en cause. Les « phénomènes » Jean-Luc Mélanchon ou Marine Le Pen ne sont pas, à mon avis, des faits conjoncturels qui s’estomperont après la campagne. Ils sont les précurseurs d’une nouvelle configuration du champ politique français. Au-delà des tendances lourdes qui portent à la présidence Français Hollande ou Nicolas Sarkozy, le paysage politique français annonce l’émergence d’une nouvelle gauche et d’une nouvelle droite. Les projets de société de ces nouveaux acteurs sont déjà au stade de chantiers avancés.
De retour au Maroc, j’ai naturellement réservé ma soirée du 22 avril au zapping entre les chaînes télévisuelles françaises pour suivre les résultats et les débats qu’ils suscitaient. Je suivais cela presque avec l’attention d’un candidat. Certes, les développements politiques en France auront des répercussions importantes sur le Maroc. Mais mon intérêt, tout au long de cette grande soirée, n’était pas tourné vers l’impact de la réglementation des délocalisations, de l’immigration et des crédits à la coopération avec le Maghreb sur notre avenir au Maroc. Mon Intérêt, avec un I majuscule, se portait sur la souveraineté du peuple français, sur la maîtrise de son destin. « Le peuple est souverain », c’est la base fondamentale de toute démocratie.
Le peuple exprime sa volonté par le vote. Ce vote exprimé par un bulletin dans une urne transparente n’est pas falsifié, n’est pas détourné, ni mis entre parenthèses. Ce vote est respecté. Très sollicité en amont, mais quand il est exprimé, par n’importe quel citoyen, il compte, il pèse, et il contribue à façonner l’avenir. Le « match » électoral français n’est pas une parodie, mais un exercice de la citoyenneté. Bon vent au Peuple de France.
Mostafa Bouaziz, conseiller scientifique de Zamane