20 janvier
Ce vendredi 20, Abdelilah Benkirane, chef du nouveau gouvernement, présentait le programme politique de son équipe. On attendait l’événement, mais il risquait fort de ne pas en être un, tellement les généralités et la continuité avec les programmes précédents ont toujours occulté toute tentative de rupture… Heureusement, les femmes de l’hémicycle ont sauvé ce rendez-vous tant attendu. En brandissant à l’unisson des pancartes en guise de protestation contre la marginalisation de la représentation féminine au gouvernement, les députées ont volé la vedette à Benkirane. Au-delà de son effet médiatique, donc éphémère, cet intermède parlementaire soulève deux questions. La première est d’ordre général, elle concerne le rapport entre le discours, et en particulier le discours politique, et la pratique effective de celui qui l’énonce. Le chef du gouvernement aurait pu présenter le plus beau discours de sa vie, jalonné d’annonces de ruptures toutes plus spectaculaires les unes que les autres, cela ne serait resté qu’un discours, appelant nécessairement appréciations et commentaires. Mais les véritables prises de position politiques ne concernent que les pratiques, les réalisations, les failles ou les dérapages. C’est sur ce terrain que le gouvernement est attendu. Au-delà des paroles, ce sont les actes qui comptent. Les femmes du parlement en ont fait le rappel à Benkirane avec éclat. Quant à moi, j’ai rencontré le jour même mon collègue Lahcen Daoudi, ministre de l’Enseignement supérieur, et l’ai assuré de l’état de grâce que mes camarades et moi-même comptons accorder à ce gouvernement. Un soutien critique en quelque sorte, conditionné par les actes de nos dirigeants. La deuxième question est d’ordre culturel : la société, dans son ensemble et toutes tendances idéologiques confondues, est-elle prête à accorder à la femme marocaine la place qui lui revient, notamment dans le champ politique ? Une première réponse vient du Parti socialiste unifié (PSU) qui vient d’élire, lors de son conseil national du 15 janvier, un bureau politique avec, comme secrétaire générale, Nabila Mounib. Une femme, oui une femme… L’acte est certes fondateur, mais le chemin sinueux qu’il a emprunté informe éloquemment sur le poids des conservatismes, même à gauche, et l’ampleur des hésitations à rompre avec une mentalité qui a peur de la modernité. Bon vent Nabila, le défi est grand, l’espoir l’est autant !
22 et 23 janvier
Saâdeddine El Othmani, le ministre des Affaires étrangères, vient de faire une visite officielle en Algérie. Il y a rencontré le président Bouteflika et son homologue algérien. Il semble qu’un réchauffement des relations bilatérales est amorcé après un gel préjudiciable aux deux Etats, et surtout aux deux peuples. Il va sans dire que l’état de tension et de « guerre froide » entre les deux pouvoirs ne profite qu’à une poignée de « mafiosi » des deux côtés de la frontière. Les marchands d’armes, les trafiquants en tout genre et autres contrebandiers, se cachent derrière des slogans « nationalistes », pour faire fructifier des « bizness » douteux. L’avenir des deux pays, du Maghreb, et de l’ensemble méditerranéen ne sera garanti que dans la concorde et la coopération productive. Des études économiques sérieuses ont mis en évidence le coût du non-Maghreb : 3 à 4 points du PIB de la région. Les déficits aux niveaux social, politique et culturel donnent également le vertige. Il serait facile, face à ce blocage en passe de devenir historique, de faire endosser la responsabilité au pouvoir marocain ou algérien. Certains le font avec ferveur à longueur de journaux télévisés ou d’articles de presse. Ceux-là défendent les intérêts des maitres du statu quo. L’avenir des peuples de la région a besoin d’un autre discours : celui qui fédère, qui ouvre les perspectives d’un vivre ensemble, pensé, élaboré et construit dans la concertation, l’implication positive et le respect non seulement des différences, mais aussi des intérêts parfois divergents des personnes, des groupes et des régions. Une telle approche ne peut faire l’économie, ni de l’histoire, ni du lien de droit, ni encore de la citoyenneté qui devrait être pensée au niveau de la région. Une telle démarche ne peut cohabiter avec le despotisme, les prébendes et les réseaux de clientélisme. Le printemps arabe a sonné l’alerte. Un nouveau rendez vous avec l’Histoire nous est offert… à nous de ne pas le manquer. Ici, le « nous » n’englobe pas les bénéficiaires de la situation de blocage. Ces pêcheurs en eau trouble, ces prédateurs, trouveront toujours des arguments pour torpiller toute tentative d’une « réinvention du Maghreb ». Pourtant, des problèmes sérieux comme le litige frontalier, le Sahara, les expulsions et expropriations des deux cotés, peuvent être réglés par une approche de conciliation des solutions politiques et sociales acceptables et équitables. A nous, peut-être de faire le premier pas… et le deuxième ?
Mostafa Bouaziz, conseiller scientifique de Zamane