Incarnation unique de l’automobile sportive scandinave des années 1960, la volvo P1800 fête ses 50 ans cette année. Une suédoise pour laquelle bien des coeurs ont craqué.
Un rapide coup d’œil dans le rétroviseur de l’histoire nous rappelle que 1961 a connu divers faits marquants plutôt amers, voire funestes. Les Etats-Unis et Cuba rompent leurs relations diplomatiques, le Mur de Berlin est érigé et, surtout, le roi Mohammed V meurt. Pourtant, c’est bien cette même année que Volvo va enfanter l’une des plus belles voitures de son histoire : le coupé P1800.
À cette époque-là, le constructeur automobile suédois fabrique surtout des berlines conventionnelles, mais déjà réputées pour être très solides. Et justement, c’est sur ce dernier point qu’une première tentative de produire une voiture de sport échoue. En effet, au milieu des années 1950, Volvo avait lancé la P1900, un roadster à châssis tubulaire recouvert d’une carrosserie mêlant plastique et fibre de verre. Un flop commercial (67 unités vendues en deux ans) et surtout une image peu ou pas assez « solide », comme l’avait estimé le PDG de l’époque, Gunnar Engellau. « Une mauvaise voiture, non, mais une mauvaise Volvo, oui », avait-il avoué sans vergogne. Ceci pour dire comment et combien l’idée d’un coupé, en l’occurrence le P1800, avait bien germé.
Pour matérialiser le projet, Volvo se tourne en 1957 vers le carrossier Ghia, qui a lui-même confié la charge de l’étude du futur coupé P1800 à l’une de ses filiales, le cabinet de design Pietro Frua, basé à Turin. En août de la même année, cinq projets sont présentés, mais l’un deux provient de l’extérieur, puisqu’il a été crayonné par Pelle Pettersson, qui n’est autre que le fils de Hellmer Pettersson, l’un des cadres influents de Volvo. En fait, Pelle, 25 ans et fraîchement émoulu du Pratt Institute de New York, avec en poche une licence en design industriel, avait réalisé un dessin personnel qui avait été glissé furtivement dans le pli remis au conseil d’administration le jour J. Ironie du sort, c’est cette cinquième esquisse qui sera finalement et unanimement retenue !
Trois prototypes sont construits à Turin par Frua entre 1957 et 1958, avant la sélection d’un modèle final qui sera dévoilé en avant-première au Salon automobile de Bruxelles, en janvier 1960. La même année, la P1800 est présentée en France, puis aux Etats-Unis, où elle est testée par les très spécialisés journalistes automobile américains. Pourtant, il faudra attendre mai 1961 pour voir ce modèle entrer en production, non pas en Suède, mais au Royaume-Uni. En Ecosse, le carrossier Pressed Steel fabrique les caisses, tandis qu’en Angleterre, Jensen Motors se charge de la mise en peinture et de l’assemblage.
La beauté des lignes
Selon son cahier des charges, la « P1800 est née dans le seul but de capter l’attention des passants collés à la vitrine des concessionnaires Volvo », rappelle le constructeur de Göteborg. Une mission qu’elle a largement accompli grâce à la sveltesse de son physique. Un profil bas, des lignes tendues et un long capot… tous les ingrédients structurels du coupé « grand tourisme » de l’époque sont réunis. Parmi ses singularités, des pare-chocs « moustache », des ailes traversées par une longue et fine bande de chrome, puis une poupe sculptée à la façon des grandes berlines américaines. L’intérieur, quant à lui, pourrait paraître kitsch aujourd’hui, mais il est très apprécié à l’époque, ne serait-ce que pour la disposition de ses combinés d’instrumentation et son volant à trois branches perforées. Mécaniquement, un moteur 1,6 litre de 100 chevaux se charge d’emmener cette Suédoise se dégourdir les trains roulant, avec, en prime, une boîte à 5 paliers histoire d’aller plus haut dans les tours. Sur le plan commercial, le succès est au rendez-vous. En 1963, la production totale dépasse déjà les 6000 exemplaires, ce qui est très encourageant pour un modèle de niche.
La voiture du Saint
Huit ans après son lancement, ses atours ont droit à un léger lifting, tandis que son patronyme s’allonge d’un suffixe, devenant P1800 S. Cette dernière consonne ne renvoie pas à la notion de sportivité – une étiquette déjà acquise -, mais plutôt à la Suède. Un clin d’œil pour marquer et rappeler que sa production a finalement été transférée, cette année-là, des usines anglaises et écossaises à Olofström (sud du pays), l’un des sites locaux de Volvo. Derrière ce rapatriement industriel, se cachent des soucis de finition et une peinture peu qualitative. Des écueils levés après que le constructeur a revu tant les procédés de production que les composants du véhicule. C’est aussi dans ce sillage que la P1800 monte en gamme, troquant sa sellerie en simili-cuir pour du cuir véritable. Cette fois, la qualité est aux normes Volvo, alors que sous le capot, le quatre-cylindres bénéficie de l’injection électronique Bosch et voit sa puissance passer à 130 chevaux. De nouveaux faire-valoir, qui étendent encore plus la popularité de cette Volvo.
Mais c’est bien sur le petit écran que le véhicule se fera connaître du monde entier. Et pour cause, dès 1971, elle est la fidèle monture de Simon Templar, dans la série culte Le Saint. Un rôle éminemment héroïque joué par le célèbre Roger Moore (agent 007 au cinéma), qui dope définitivement l’image de ce coupé. À ce sujet, il se murmure que les producteurs de la série se seraient d’abord tournés vers la marque Jaguar (probablement pour la Type E), laquelle aurait, soit tardé à répondre, soit formulé une fin de non-recevoir. Tout l’inverse de Volvo qui a été sollicité pour la P1800 et a répondu favorablement.
Quelques variantes de carrosserie
Toujours en 1971, une déclinaison fait son apparition. Il s’agit de la 1800 ES, dont la carrosserie à trois portes et l’arrière façon break de chasse renforcent le statut culte de cette Volvo. D’autant plus qu’elle arbore un hayon totalement vitré, soit une solution technique plutôt avant-gardiste pour l’époque. Si bien qu’il ne serait pas exagéré de croire que c’est bien cette P1800 ES et sa pseudo-remplaçante, la 480 ES, qui font figure de pionnières d’un segment très en vogue actuellement : celui des compactes chics. Autre variante de la P1800, les quelques cabriolets qui en ont été dérivés ne sont le fruit que de carrossiers indépendants et non du constructeur, qui n’a pas voulu produire cette version pour des raisons de rigidité insuffisante de la structure. C’est ce qui explique que seule une trentaine de P1800 décapotables ont vu le jour.
Produite jusqu’en 1973 à près de 47 500 exemplaires, la P1800 est aujourd’hui très recherchée par les collectionneurs. Elle est même un must-have pour les inconditionnels de la marque. Cela malgré toutes les difficultés inhérentes à sa restauration, du fait de pièces de rechanges peu disponibles et, surtout, une cote ayant sensiblement augmenté ces dernières années. Enfin, preuve que cette quinquagénaire suédoise n’est pas près de rendre son dernier souffle, un Américain, Irv Gordon, a parcouru avec sa P1800 de 1966 plus de 2,9 millions de miles, soit environ 4,5 millions de kilomètres ! Voilà la preuve historique et irréfutable du caractère fiable et increvable des Volvo. À moins que ne tienne la route une seule et mystique explication : si la P1800 n’a pas rendu l’âme, c’est tout simplement parce que Le Saint veille sur elle.
Par Alain Delaroche