Plusieurs responsables politiques, observateurs, leaders de la parole, membres de la toute récente Commission pour le nouveau modèle de développement, et après avoir relaté chacun les idées et la copie qu’il compte ou comptait proposer pour le très attendu modèle, buttent, tous et sans exception aucune, contre l’insurmontable rocher : la confiance. Les preneurs de parole, et à ce jour, n’ont encore rien livré d’extraordinaire. Les mêmes idées recyclées et livrées sous un nouvel emballage. Ceux de la commission n’ont pas encore parlé. Quel crédit accorder donc à cette profusion de recettes ?
La complexité au niveau du discours, là où on n’arrive plus à déchiffrer quand et comment celui qui nous parle dit la vérité, Les analyses contradictoires des réseaux sociaux qui sèment le doute et la confusion, poussent le citoyen à déplacer sa confiance vers d’autres tribunes, d’autres locuteurs. La confiance se disloque et le locuteur perd du crédit.
Le problème, il me semble, c’est que chez nous les gouvernants n’ont pas vu se transformer la notion même de confiance dans la conscience collective. Au sens strict du terme, la confiance renvoie à l’idée qu’on peut se fier à quelqu’un ou quelque chose. Le verbe confier (du latin confidere : con «avec», et fidere «fier») signifie, en effet, qu’on remet quelque chose de précieux à quelqu’un, en se fiant à lui et en s’abandonnant ainsi à sa bonne foi. L’étymologie du mot montre par ailleurs les liens étroits qui existent entre la confiance, la foi, la fidélité, la confidence, le crédit et la croyance. Mais la notion de la confiance a bien changé avec la modernité. Ce modèle théologico-politique a perdu de sa force et la confiance ne se pense plus en termes de foi en Dieu. Les modernes considèrent la confiance comme un mécanisme de réduction des risques, basé sur un calcul rationnel. Mais, malgré la fin de ce modèle, même dans la conscience collective des populations du sud de la Méditerranée, on continue à confondre le fait de se confier à dieu et celui de se confier au calife (l’ombre de dieu sur terre). Le gouvernant ne prend plus la figure de dieu, même si le discours continue à répéter inlassablement les vieux concepts vides de sens. Même dans les sociétés traditionnelles, comme la nôtre, la confiance doit être soumise aujourd’hui à un contrat terrestre, séculier, voire laïque, exempt de toute relation avec une quelconque foi religieuse. On aspire à vivre dans un monde stable ; pour cela nous avons besoin d’une confiance mutuelle avec ceux qui nous entourent. Les symboles qui peuvent exprimer cette confiance qui s’institutionnalise sous forme de contrat entre partenaires de la même société, se traduit par le fait de passer dans un feu vert en étant sûr que le partenaire social ne viendra pas me heurter, que l’argent que je dépose à la banque ne me sera pas volé, que l’agent d’autorité qui m’arrête ne va pas m’agresser… Or la vie de tous les jours montre que même cette confiance se perd. Mais le ciment de cette confiance est bien le discours politique qui tient sa promesse de la réguler. Et si le discours politique arrive à perdre de sa crédibilité, la confiance risque de se disloquer. Une société est appelée à se désintégrer en l’absence de confiance généralisée entre ses membres.
Si tous les participants au débat sur le nouveau modèle de développement ressassent les mêmes recettes déjà vues et revues, je vois mal comment la société allait leur accorder du crédit ? Les citoyens ont déjà vu défiler du libéral, du gauchiste, de l’islamiste, du nationaliste ; ils ont déjà entendu les politiciens, les technocrates, les prêcheurs… leur promettre «ponts et merveilles» sans que parole ne soit tenue. Revenir aujourd’hui leur débiter les mêmes discours dans lesquels ils ont plusieurs fois été farinés, ne me semble pas très constructeur. Le problème est qu’au fond, tous ces locuteurs n’ont pas grand-chose à livrer. Que faire ?
Aller trouver la confiance ailleurs ? Mais où donc ?
Par Moulim El Aroussi, conseiller scientifique de Zamane