Dans quelques semaines, Hervé Renard conduira le Maroc à sa cinquième Coupe du Monde. On lui souhaitera longue vie parce que les quatre sélectionneurs qui l’ont précédé ont quitté ce monde. Après avoir longtemps été oubliés…
Le Yougoslave Vidinic (Mondial 1970 au Mexique) est parti sur la pointe des pieds en 2006, très peu de médias ayant relayé l’information de son décès. Le Marocain Abdellah Blinda (Mondial 1994 aux Etats-Unis) est sorti par la petite porte en 2010, lui dont la carrière et un peu la vie se sont brisées dès le lendemain de ce tournoi raté aux Etats-Unis. Le Brésilien Mehdi José Faria (Mondial 1986 au Mexique) est mort pratiquement dans le dénuement et la quasi-indifférence générale en 2013. Et le Français Henri Michel (Mondial 1998 en France, le dernier pour la sélection marocaine) vient de nous quitter à son tour il y a quelques jours, lui qui a été beaucoup plus pleuré en Côte d’Ivoire qu’au Maroc.
Ces quatre grands bonhommes qui ont tant apporté au football marocain, et qui ont installé le royaume très haut sur l’échiquier mondial, sont morts dans l’oubli. Même aujourd’hui, quand on évoque ces campagnes mondiales, on se rappelle des joueurs et pas des sélectionneurs. Ils ont pourtant fait ce que les diplomates passent leur vie entière à imaginer, sans forcément le réaliser : hisser haut et fort le drapeau marocain. Vidinic a été le premier à qualifier le Maroc à une phase finale de Coupe du Monde. Faria a été le premier et pour l’instant le dernier à mener le Maroc au deuxième tour. Blinda a été le premier entraîneur marocain à disputer une Coupe du Monde. Michel a été le premier à faire pratiquer aux Lions de l’Atlas un football offensif et décomplexé. Sur un plan plus personnel, Vidinic et plus encore Faria et Michel ont longtemps gardé attache avec le royaume. Ils étaient marocains à part entière. Faria a carrément oublié qu’il était brésilien : il avait pris femme et maison à Rabat et choisi de se rebaptiser Mehdi en se convertissant à l’islam. Quant à Michel, qui a été très proche de ses joueurs, son accent provençal résonne encore dans certains établissements à Casablanca ou Rabat. Rien de tout cela n’aura trouvé grâce aux yeux de leur pays d’accueil. On se souvient par exemple que le pauvre Faria a longtemps subsisté avec le solde d’un sans-grade. Certains de ses anciens joueurs ont dû cotiser et faire du porte-à-porte pour tenter de soulager ses derniers jours…
Et que dire de Blinda. Il était un phénomène. Joueur, il a mené en parallèle une carrière de footballeur…et de handballeur. Incroyable, n’est-ce pas ? Entraîneur, il a regretté ou presque d’avoir qualifié le Maroc pour le Mondial 1994 aux Etats-Unis. Les lions de l’Atlas ayant déçu (trois matchs, trois défaites, dont une jugée humiliante face à l’Arabie Saoudite), le public fit porter le chapeau au coach. On assista à une véritable campagne de lynchage du pauvre Blinda, qui a été raillé, insulté et traité comme un pestiféré. Il lui a fallu de longs mois avant de refaire surface…
La bande des quatre mérite d’être réhabilitée. Ce qu’elle a réalisé honore ce pays et son histoire. Ils ont été oubliés de leur vivant et largement ignorés à leur mort. Dans d’autres pays, les anciens sélectionneurs deviennent parfois consultants à la télévision. Ils partagent leurs expériences et leurs analyses du jeu avec le grand public. C’est du gagnant–gagnant et tout le monde y trouve son compte.
Au Maroc, cette culture n’existe pas. Nous vivons pourtant dans un pays connu pour choyer ses retraités pour « services rendus à la nation ». Mais on ne trouve dans le panier que d’anciens ministres et autres commis de l’Etat, et pas ceux qui ont apporté des choses concrètes à la jeunesse de ce pays.
Par Karim Boukhari, Directeur de la rédaction