Le 9 mars
Depuis que la jeunesse marocaine a fait irruption dans le champ politique et interpellé de façon spectaculaire aussi bien les partis politiques que le roi Mohamed VI, on attendait la réaction du souverain. Elle est arrivée ce soir. Le roi est allé plus loin que ce que je prévoyais. Par contre, j’espérais plus, bien entendu… La date butoir de juin me gênait, je ne savais pas encore pourquoi. Mais j’avais le sentiment profond qu’une nouvelle étape s’ouvrait pour le Maroc. Le «Mouvement du 20 février» vient de forcer la citadelle des conservateurs. Une belle brèche orne l’édifice du système. A nous, démocrates de ce pays, de nous y engouffrer et de l’élargir. C’est bien aux jeunes gens du 20 février que revient l’honneur de l’ouverture de ce grand chantier qu’est l’élaboration d’une constitution démocratique et moderniste pour notre pays.
Le 12 mars
Invité par un groupe d’hommes d’affaires et d’entrepreneurs pour parler de l’histoire du Maroc, l’action des jeunes et le discours du roi se sont imposés à moi. J’étais l’hôte d’un groupe original, un très bon échantillon de ce qu’on peut appeler «classes moyennes». Un groupe cimenté par l’amitié et une action sociale commune, au delà des différences d’opinions et de métiers. Ces messieurs sympathiques font en commun la prière, le sport, et ces causeries culturelles auxquelles ils invitent des intervenants de différents bords autour d’un beau dîner. J’ai été agréablement surpris par le sens de l’écoute, la qualité du débat, et surtout la profondeur de l’échange. Ces gens de mon pays, qui ne partagent pas mes opinions politiques les plus engagées, ne mettaient pas en opposition aspirations des jeunes et discours royal, mais cherchaient au fin fond de la culture marocaine les éléments d’un sursaut national innovateur. Au centre de ce grand débat, des idées telles que «monarchie parlementaire», «Etat civil» et «séparation des pouvoir».
Le 13 mars
Le conseil national du PSU était convoqué à discuter de la préparation du troisième congrès et du discours du roi, conjoncture oblige! On était à l’étroit parce que le siège du parti était mis à la disposition de la jeunesse de Casablanca depuis le départ du «Mouvement du 20 février». Alors qu’on était en pleine délibération, des jeunes ont débarqué au siège pour nous informer que le sit-in qu’ils organisaient sur la place Mohammed V était dispersé à coups de pieds et de gourdins par les forces de sécurité, ce qui contrastait avec la logique du discours royal. Un rassemblement s’est vite formé devant le siège du PSU (rue d’Agadir). Les jeunes dénonçaient la répression et réclamaient que soient relâchés leurs camarades arrêtés par les différents services (127 tout au long de la journée).
Le conseil national du PSU, tout en continuant ses travaux, prit séance tenante la décision de soutenir les jeunes et leur rassemblement. Il choisit son vieux leader charismatique, Mohamed Bensaïd Aït Idder, pour communiquer cette solidarité. Le moment était émouvant et lourd de signification. Le PSU prit contact avec le ministre de l’Intérieur et le préfet de police de Casablanca. Un dénouement positif de la crise était en cours. Une partie des personnes interpellées fut remise en liberté. Quant à moi, j’étais en train d’intervenir devant les membres du conseil national et de livrer le fond de ma pensée sur les opportunités ouvertes par le discours royal: la possibilité d’asseoir un humanisme marocain qui réformerait de l’intérieur le système politique, et qui mettrait l’Etat et la société dans la voie d’une modernité endogène.
A ce moment précis, et malgré tous les engagements des officiels, le préfet de Casablanca donna l’ordre de charger le rassemblement des jeunes. Nous sommes alors tous sortis pour faire corps avec ces citoyens pacifistes, recevant bien entendu notre lot de bastonnades et d’injures. Un spectacle triste qui, au-delà des blessures subies par les jeunes et moins jeunes, porte gravement atteinte à notre peuple pacifiste et à la crédibilité du discours royal novateur… une véritable épée dans le dos de l’espoir naissant!
Le 20 mars
La bastonnade du 13 mars a été mobilisatrice. L’enthousiasme, la fougue, la solidarité ont été multipliés. Ici, au Maroc, on ne craint pas d’être martyrisé. Cela, les stratèges des services sécuritaires ne l’ont pas encore compris. Les jeunes ne se contentent plus de rassemblements. Ils organisent des manifestations. Dans différentes villes du royaume, le peuple a marché. Une marche physique, et une marche vers la citoyenneté. Celle qui vient des profondeurs de la société, et non celle décrétée par dahir. Ce 20 mars, les forces de sécurité se sont faites toutes petites. C’était la moindre des choses après la grave faute politique du 13 mars.
Le 20 mars, les marcheurs, qui regroupaient différentes couches sociales, âges et genres, ont répondu au «mal agir» des rétrogrades par une belle civilité. Certes, les chemins de la citoyenneté sont tortueux, mais les Marocains vont les parcourir malgré les embuscades, avec leur «bel agir». Et le 20 mars était un bel agir.
Par Mostafa Bouaziz, conseiller scientifique de Zamane