Ce troisième épisode de notre série est aussi le plus sombre. Pendant 18 ans, notre jeune officier va traverser l’interminable cauchemar des oubliettes de Tazmamart. Plongée dans la misère humaine absolue.
Après notre jugement et l’acquittement de nos élèves, nous fûmes transférés à la prison civile, puis militaire, de Kénitra. Il est vrai que nous jouissions du régime de détenus de droit commun, à savoir une visite hebdomadaire et la correspondance avec nos familles. Les locaux étaient propres, nous avions même droit aux visites médicales. Les sous-officiers condamnés à 18 mois se préparaient à entamer la nouvelle vie civile qui les attendrait bientôt. Les autres espéraient bénéficier un jour d’une grâce royale. Le 31 juillet 1973, le lendemain de la libération des officiers condamnés à deux ans, des avions militaires nous attendaient à la base aérienne de Kénitra pour nous transférer à Ksar-el-Souk (Errachidia). Puis on nous emmena dans des camions. Nous étions en compagnie des militaires impliqués dans la deuxième tentative de putch (15 août 1972). Dès que je posai le pied sur le sol rocailleux de la cour de la prison (entrevu malgré le bandeau sur mes yeux), il me revint à l’esprit la confidence d’un soldat au pénitencier de Kénitra, qui m’avait parlé de la construction d’un bagne à Tazmamart. La suite me montra que c’était bien l’endroit. Nous fûmes introduits dans des cellules obscures de deux mètres sur trois, avec, en guise d’aération, dix-sept trous de dix centimètres de diamètre donnant sur l’intérieur du couloir, ainsi qu’un trou au plafond. Les gardiens nous désignèrent un plat en plastique, une carafe, un broc de dix litres d’eau et deux couvertures datant de 1956. Nous étions loin d’imaginer que tel était le «paquetage» avec lequel nous allions lutter contre le spectre d’une mort certaine pendant presque deux décennies ! Dès le lendemain, les cellules restèrent closes. Il n’y avait donc pas de sorties dans la cour dans cette nouvelle prison ? Le matin, on nous donna un peu de café ; à midi, des féculents bouillis dans de la graisse ; et le soir, des pâtes préparées avec le reste du repas de midi. Ce serait désormais, à quelques variations près, notre éternel régime.
Par Abderrahim Sedki
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