Un matin, dans un quartier du centre-ville à Casablanca, on découvre un spectacle spécial sur les murs extérieurs d’une école qui dispense un enseignement moderne depuis le protectorat. Elle est peut-être la première école moderne de la cité blanche. Par souci d’intégration de l’institution dans son environnement, l’école a invité un artiste pour une action pour le moins insolite. Il a pris des photos de la vie quotidienne du quartier (le cordonnier, le gnaoui, le téléphone public, les voitures, les épiciers, etc.) ; il a tout imprimé, parfois dans des dimensions assez grandes et a collé le tout sur les murs extérieurs de l’école. Pour plus de contextualisation, il a ponctué son oeuvre de textes en arabe et en français, tirés d’œuvres romanesques ou poétiques de la littérature internationale, toujours dans les deux langues.
J’ai pu voir, des jours durant, des personnes s’arrêter, regarder, rire, s’amuser ou rester indifférents et repartir. L’événement a été réussi du moment qu’il n’a pas laissé indifférent. L’acte artistique en lui-même m’avait juste amusé, rien de plus.
Un jour, à l’heure du déjeuner, alors que l’école était fermée, peu de gens circulaient, j’assiste à un spectacle insolite. Une dame, vêtue en pantalon – chemise, coiffée d’un fichu comme on en rencontre partout, était absorbée par la lecture de l’un des textes. Je ne sais pas si elle avait vu les images. Elle s’éloigne du texte, s’approche comme quelqu’un qui vérifiait quelque chose, et finit par se diriger vers une voiture stationnée à deux mètres de la feuille collée sur le mur de l’école. Elle se penche, engouffre la tête dans la voiture, s’attarde à parler à quelqu’un, qui sort à son tour et se dirige à son tour vers l’affichette toujours sur le mur. C’était un homme. Habillé d’une manière européenne, il avance vers le texte, s’approche, lit, se frotte le crâne et semble d’accord avec la femme. Après conciliabule et des gestes d’indignation, il se dirige vers la voiture, revient avec quelque chose dans la main et se met à raturer le texte. Il tire son veston vers le bas, relève la tête avec fierté, la femme fait de même après avoir vérifié que le travail a été bien fait. Ils montent dans leur voiture et s’en vont.
Je n’ai pu m’empêcher d’aller constater les faits. Ces deux personnes avaient jugé utile de rectifier la pensée de l’artiste qui avait choisi d’afficher un poème français évoquant la fin de la semaine à l’école, en disant que le vendredi était un jour «sauvage». Les deux personnes n’ont pas accepté cela. Elles ont donc décidé à la place du personnel enseignant et administratif de l’école, des élèves et de leurs parents, des habitants du quartier, et ceux de Casablanca, de rectifier ce qu’ils ont considéré comme un tort. Un couple du style classe moyenne marocaine, une bagnole assez grande, des costumes qui respectent l’image courante dans le pays ; la tradition et la modernité… Ce ne sont pas des religieux… Ils forment la grande majorité de la société. Ceux-là font office de censeur des libertés.
Par Moulim El Aroussi