À la veille des élections législatives du 7 septembre 2007, un sondage organisé par un institut américain donnait le PJD grand gagnant du scrutin avec 47 % des voix. Un vent de panique a soufflé alors sur le landerneau politique marocain et les chancelleries occidentales ne cachaient pas leur inquiétude de voir un parti islamiste disposer d’une telle majorité au parlement du Royaume. Les critiques ont fusé de partout pour descendre en flammes le sondage «américain». Mais, chose inédite et invraisemblable, les critiques les plus virulentes étaient formulées par le PJD lui-même. Les dirigeants islamistes se sont livrés à un spectacle absurde et étonnant, en voulant démontrer que les conclusions de ce sondage sont fausses et que leur parti ne pouvait pas prétendre à une telle victoire. Certains cadres du PJD expliquaient doctement devant les caméras les erreurs méthodologiques et statistiques de l’étude qui prédisait la victoire de leur parti. Un cas sans précédent dans le monde où une organisation politique rejette un sondage qui lui est favorable et le critique, en plus ! Mais, pour le PJD à l’époque, le maître-mot était «la banalisation». Le parti, selon ses dirigeants, devait paraître comme ordinaire, inoffensif, semblable dans ses prétentions aux autres partis existants. Il ne fallait pas effrayer ou nourrir la suspicion des élites au pouvoir. Le pari de Benkirane, El Otmani et leurs amis était de fondre dans le paysage politique et s’y intégrer complètement.
Mais, quelques années plus tard, les choses ont changé. Dans le sillage du Printemps arabe et la vague de contestations qui a touché le Maroc, le PJD était porté au gouvernement par un vote massif en sa faveur. Les électeurs, eux, n’y voyaient pas un parti ordinaire, banal et sans spécificité particulière. Ils y projetaient leurs espoirs, leur désir de changement et surtout leur fantasme d’un «idéal islamique» de gouvernement et de gestion politique. Car, ce que les dirigeants du PJD semblent oublier, c’est qu’un parti islamiste ne peut pas prétendre à la banalité et à la platitude. Dès son apparition, le mouvement islamiste était considéré par une partie de la société marocaine comme un recours et une alternative. Tout le discours de ce mouvement était porteur d’une utopie qui promettait un changement radical de la société, de l’État et de la manière de faire la politique. Un peu à l’image de la gauche des années 60 et 70 qui promettait la justice et l’égalité sur terre dès son accession au pouvoir. Dans cette configuration, il n’y a pas de place pour le relatif et le possible, puisque l’absolu est présenté comme seul horizon et frontière. Un parti islamiste, de par sa rhétorique et son récit originel, ne peut être perçu que comme providentiel et «messianique». La déception est proportionnelle donc aux attentes et la désaffection est aussi forte que l’enthousiasme. C’est ce risque qui guette donc le PJD et Benkirane, lors de son actuelle expérience gouvernementale.
À mi-mandat, les réformes annoncées par Benkirane tardent à se déclencher. L’hydre de la corruption, que les dirigeants du PJD ont juré de terrasser, est encore forte et résistante. Les promesses de justice, de gestion vertueuse, d’égalité et de règne de la probité et de la moralité sont encore au stade des vœux pieux et d’annonces. Cette situation de tétanisation devant les problèmes et d’incapacité à changer et réformer profondément le pays contribue à une démonétisation progressive du parti islamiste. Ce dernier risque de connaître le même destin que l’USFP, porteur en son temps d’immenses espoirs et qui paye jusqu’à maintenant le prix du désenchantement suscité après l’expérience de l’Alternance. L’utopie islamiste, comme celle de la gauche auparavant, se heurte à l’ordalie du réel, au roc solide de l’exercice du pouvoir et à la puissance et la ruse du Makhzen. Qui a dit que l’Histoire au Maroc ne se répète pas ?
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