C’était la question posée lors d’un débat par des pontes de la gauche marocaine, Ismail Alaoui, Nabila Mounib, et des intellectuels dont Driss Jidane, Hamid Ammouri et l’auteur de ces lignes, en ce mois d’Avril, mois des Lilas et…des grands rêves, comme dirait T.S. Eliot dans son «Waste land». La Gauche est plus qu’un programme, une idée qui avait révolutionné le monde. Elle est au monde moderne ce que les messianismes étaient pour le monde ancien. D’une certaine manière la Gauche, comme le libéralisme (l’autre version de la Gauche, outre-Atlantique), se définit par opposition au conservatisme. L’idée qui sous-tend la Gauche est le mouvement. Elle est une avant-garde, un vigile. Elle est donc en opposition à ceux qui « conservent » des avoirs, des traditions ou…des chimères.
Le monde agraire est conservateur. La révolution industrielle a rendu la Gauche (ou le Labor), attractive, y compris parmi ses contempteurs. Après coup. Car la Gauche apportait de nouvelles idées et de nouvelles élites. Le socialisme, une des déclinaisons de la Gauche, a fini par devenir un dogme, avec son catéchisme, ses saints, ses martyrs, ses gloseurs et… ses secrets d’alcôve. Mais la Gauche demeurait la grande idée. Elle avait le passé qu’elle lisait à l’aune de la raison, le présent qu’elle régentait par sa production des idées, car elle avait le pouvoir spirituel, là où le pouvoir temporel était aux mains du grand Capital ou de l’Etat. Et puis surtout, elle cristallisait l’avenir. L’utopie ou le déterminisme historique. Elle jouait sur la partition de la justice sociale, libertés collectives et individuelles, et la solidarité ou la fraternité, idée forgée par le père du socialisme, Saint Simon. Qui pouvait, dans le temps, ne pas être de Gauche ? Même les religions se disputaient le brevet du socialisme. On se voulait socialiste avant l’heure, comme cet azharite, Annaquouri, ou même Allal al Fassi chez nous, tous deux pensaient que l’islam dans son essence était socialiste.
Puis, plus rien. La Gauche est détrônée par le Capital. Depuis la chute du mur de Berlin. Le Capital fait appel à l’intérêt. Il fait avec l’être humain tel qu’il, avec ses travers, son égoïsme. L’intérêt fait mieux que les grandes idées ou les nobles valeurs. Le Capital gère mieux ce que Gauchet appelle la banalité des petits bonheurs… Le rêve est à portée du main, à condition qu’on y mette les moyens. Et faute de les avoir, on peut hypothéquer sa vie pour en disposer. On devient esclave par ricochet. Who cares ?
Dans cette reconversion à la nouvelle religion du Capital, on a vu des gens de Gauche faire des politiques de droite et s’enorgueillir à l’occasion, au Maroc comme en France. Sans vergogne, sans gêne, sans états d’âme. Ils avaient cessé d’être de Gauche en effet.
Le politique au nom de la Gauche est, dans le faire semblant, le make believe. Il pactise avec ce qu’il honnissait : les notables, les technocrates, l’atavisme. C’est désormais un homme pragmatique. Il garde bien sûr quelques réflexes, quelques idées de Gauche, quelques rémanences, un jargon. Son mentor est le technocrate. Il est à ses trousses. Il renie celui qui était son compagnon de route, l’intellectuel. Il l’horripile, lui qui se piquait d’être lui-même intellectuel, quand il faisait dans le plagiat et la compilation, la polémique ou les coups de gueule. C’est vieux tout cela. Et puis la machine est détraquée. La bulle du Capital financier s’est faite trop grande, celle des spéculations, en suivant le mouvement du Capital ou ses caprices, sans que le Travail (la valeur sur laquelle le socialisme se fonde) ne suive. On arrive à cette conclusion vieille comme le marxisme, le Capitalisme porte ses propres contradictions. Le Marché est bon pour créer la richesse, mauvais pour sa distribution. Le grand changement est que ce qui était conjectures d’intellectuels, voire d’experts, est devenu l’affaire du peuple, voire du petit peuple. Il exprime son désarroi, dans la cohue des fois. Pourtant l’idée est juste. Elle gagnerait à être reprise. Oui, on ne peut « gérer » les sociétés que par la Loi ou le Marché. Tous deux sont impersonnels. Seule la solidarité, la matrice de la cosmogonie de la Gauche, compense les carences des deux. Le mot ichtirakia en arabe (partage) rend l’idée mieux que le mot « socialisme ». À l’heure où nous parlons, les peuples ont besoin de cadres idéels pour décliner leur soif pour la justice, la liberté, la solidarité, la dignité. Vieux rêves de Gauche, qui peuvent renaître de leurs cendres. Oui, la Gauche a un bel avenir, à condition de lui paver la voie. Le peuple dans ses « jaqueries », annonce l’avènement. Ne nous trompons pas de diagnostic. Napoléon III disait: « La pauvreté cesse d’être pernicieuse quand l’opulence aura cessé d’être oppressive ».
Cogitons donc.
Hassan Aourid, conseiller scientifique de Zamane
La culture de gauche, au Maroc en particulier, s’est diluée dans « le champ spirituel » et la sécularisation religieuse, depuis la disparition de Ben-Barka, d’Abd-Errahman Bouabid et Benjellon. Elle a été aidée, en cela par les « années de plomb », autrement dit, par la répression « féroce » des ministres de l’intérieur (Oufkir-Basri), les 007, avec permis de torturer, de tuer ou de faire disparaître! Elle a, par ailleurs, été contrée, par un discours religieux, basé sur l’inertie, conséquence de la montée de l’islamisme concomitant, aux crises politiques internationales (1967/1973). S’y étaient ajoutés les « restructurations » du F.M.I, des années 1980 ) et le bégaiement de l’économie nationale, incapable de « décoler », de fournir les minimas nécessaires, car en manque d’imagination.Les émeutes du pain de 1981, l’ont démontré. 1975, en brandissant le Coran, pour récupérer les provinces du sud, fut aussi, par « ricochet », un signal de l’ancrage dans la tradition, l’appel au « sentiment national/nationaliste » puisant sa légitimité dans le Corpus religieux, sans oublier les « coups d’état » juste avant. Cela avait donné du « grain à moudre », aux conservateurs qui n’en demandaient pas tant! Des causes » indirectes, donc. Mais pas tant que ça! Le capitalisme financier n’était pas le seul en cause. L’ignorance et l’analphabétisme, très élevés, jusqu’aux années 1990, avaient très largement contribué à freiner élans et démarches de renouvellement des « élites », de mutations sociales, comme autant de grains de sables, dans les rouages d’une « pensée » plus socialiste (intellectuelle, aux pays des illettrés, de l’époque) que socialisante: indigence, au sein des partis, des organisations syndicales ou corporatistes, des modes et méthodes de formations, de sensibilisations aux changements, qui se produisent, au quotidien,…..dans les « Alentours »! C’est bien connu, on ne peut agir, sans acquisitions des savoirs, des connaissances et d’informations. La gauche marocaine n’a pas su adapter son discours aux « réalités marocaines »: on ne peut appliquer, à la lettre, une idéologie « importée » (ses conditions d’apparition/ de production), furent très différentes de la « vision » et de la perception, de la société marocaine, de son propre milieu. Celle-ci -verticale- est légitimiste: elle n’a connu que la gouvernance monarchiste, depuis des siècles. Pour accepter le changement, elle attendait un signal de la monarchie. C’est ce qui se produit, depuis début 2000! Conclusion, des événements, des freins, des inerties, des maladresses politiques….ont concouru au déclin de la gauche marocaine qui, depuis s’est « acclimatée » avec le « capitalisme financier », en rangeant son idéologie et ses programmes, dans les tiroirs! « Le phénix » n’est pas né en terre musulmane ou arabo-berbère! Le socialisme n’a jamais « pris », même dans les républiques arabes! Il a été remplacé par des régimes militaires, souvent répressifs, voire sanguinaires. Cela apporte de l’eau au moulin des régimes libéraux!Donc, au capitalisme financier…..et c’est reparti pour un tour! Il serait utile que la gauche marocaine porte un regard « par dessus l’épaule », qu’elle fasse son « introspection », sa critique « objective »….pour se relever. Il y a du boulot! Cela dit, l’article est excellent. Merci.