On forme des soldats, on acquiert des armes, pour faire la guerre, à qui ? On ne sait pas car on dit avoir une armée et des armes pour se défendre. Se défendre contre qui ? Contre des méchants bien entendu, des ennemis. Qui sont ces méchants ? Ils sont des individus, des groupes ou des États qui pourraient penser, un jour, faire du mal à leurs voisins. On fait donc la guerre exclusivement contre les méchants. Mais qui est le méchant ? C’est bien celui qui fait le mal. Contrairement au bon qui lui défend les faibles. Le méchant n’est pas seulement celui qui fait le mal et qui le fait en fonction d’une intention délibérée, il est celui qui aime le mal.
Tout le monde fait le mal, mais certains l’aiment. Ils en jouissent. Ils aiment voir les autres souffrir. Ils sont pervers, diaboliques et sataniques. Ceci est le portrait de celui qui nous oblige à lui faire la guerre pour l’empêcher de semer le mal et le désastre autour de lui et sur terre.
La guerre qu’on fait aux méchants est donc une guerre juste. La guerre juste doit répondre à quatre conditions : que la cause soit juste, que l’intervention armée soit l’ultime recours, que la guerre soit décidée par l’autorité légitime et que les moyens soient proportionnés.
Toutefois, combien avons-nous vu de guerre où les causes étaient présentées comme justes et légitimes, et que le méchant avait été identifié car ayant toutes les caractéristiques de Satan, que son territoire fut détruit, lui tué, sa population clochardisée… mais qu’à la fin de la tragédie on est revenu dire que les causes étaient fausses ? Qu’on s’était trompé et que cela fait partie des erreurs humaines.
Cela n’est point propre à notre époque. L’idée de la guerre juste avait préoccupé les sages, les prêtres, les philosophes, les historiens, les prophètes, les bandits…
La cause juste qui semble être l’épine dorsale de ce concept reste très relative et dépend beaucoup de celui qui la définit. Si pour les musulmans, la cause était une légitime défense contre ceux qui voyaient en la nouvelle religion un danger pour leurs intérêts, elle était pour les chrétiens, surtout croisés, une tentative de reconquérir les lieux sacrés de la révélation de leur religion. Ils considéraient que les musulmans qui gouvernaient ces lieux n’avaient aucune légitimité. Ils pouvaient donc user de tous les moyens pour les déloger et les renvoyer dans leur désert. Les uns et les autres se créent des récits pour légitimer leurs causes.
Dans le monde contemporain on n’a pas dérogé à cette règle. Les règles de la soi-disant guerre juste mises en place par les anciens n’ont pas beaucoup changé. On a par contre affiné les moyens d’explication et de persuasion ; ce qui se dit dans le langage d’aujourd’hui «la communication». Or, cette dernière ne diffère que très légèrement, voire pas du tout, de la propagande.
On y use du mensonge, de la manipulation des foules et de la satanisation et de la diabolisation de l’ennemi. Aujourd’hui la guerre de la propagande prend une dimension tellement grande qu’on ne peut plus faire la différence entre la victime et le bourreau. On trafique les images, on invente les discours, on détourne les propos sans scrupule aucun. Au nom de la défense des idéaux on enrôle tout le monde dans la même cavale médiatique faite de fausses vérités. Est-ce là vraiment la justice, la vérité qu’on vend à la foule ? Qui peut juger qu’une guerre est juste et qu’une autre ne l’est pas ?
Dans le livre premier de «La République» de Platon, Socrate et Polémarque mènent une conversation sur la justice:
-Mais quel est le plus propre à garder une armée ? N’est-ce pas celui qui sait dérober les desseins et les projets de l’ennemi ?
-Sans doute.
-Par conséquent, le même homme qui est propre à garder une chose, est aussi propre à la dérober.
-À ce qu’il semble.
-Si donc le juste est propre à garder de l’argent, il sera propre aussi à le dérober ?
-Du moins, c’est une conséquence de ce que nous venons de dire.
-À ce compte, l’homme juste est donc un fripon !
Par Moulim El Aroussi, conseiller scientifique de Zamane