En 2011, au moment de la refonte de la Constitution, une question avait fait débat : la liberté de conscience. Les rédacteurs de la Loi suprême du royaume l’ont sérieusement envisagée avant de se rétracter, sous la pression des milieux conservateurs : les cercles des oulémas et le premier parti politique au Maroc, le PJD. Supprimée, donc, mais pas oubliée.
La liberté de conscience est le stade suprême de ce qu’on peut appeler « la consécration de l’individu ». Elle l’affranchit des dernières contraintes qui le placent sous la tutelle de la communauté. En dehors de la citoyenneté, plus rien ne l’assimile aux autres. Il naît citoyen, c’est ce qui le définit, et tout ce qu’il fait après lui appartient, il est de son fait et il n’engage que lui.
Dans ce schéma, la religion rétropédale et devient une affaire personnelle. La liberté de conscience fait de la religion une liberté, un choix que l’on peut faire ou ne pas faire, une affaire strictement individuelle. Ce n’est plus la religion, mais la citoyenneté qui définit l’individu et devient son référent. Tous ces remaniements touchent, bien entendu, à l’identité et à l’idée que l’on peut s’en faire. La liberté de conscience est une clé qui ouvre sur la laïcité. D’un point de vue conservateur, cela met en péril ce qu’on pourrait appeler la «sécurité religieuse» de la nation ou de la communauté, et c’est précisément ce point qui a retardé son adoption par la loi fondamentale du pays. C’est une affaire de fond. Avec même une dimension philosophique. La question est : le Maroc et les Marocains sont-ils prêts ?
En 2011, les rédacteurs de la Constitution en ont débattu. Les plus progressistes parmi eux ont dit oui, emportés par l’élan du Printemps arabe. L’un d’eux s’en était ouvert auprès de ses amis et confidents : « Il faut que la société civile et les intellectuels s’emparent de cette question et se l’approprient, il le faut, et vite, vite… ». Il n’en fut rien. C’était une course contre la montre et, fatalement, les forces de résistance, beaucoup plus nombreuses, plus audibles aussi, ont été les plus promptes à s’emparer de la question pour l’étouffer. L’ont-elles définitivement enterrée pour autant ? Probablement non.
Parce que le garde-fou de la sécurité religieuse n’est pas le seul paramètre à entrer en jeu, heureusement. D’autres paramètres doivent être pris en compte, dont un élément prioritaire qui s’appelle «la réalité». La réalité va plus loin que les textes. Les Marocains ne sont pas tous musulmans «orthodoxes». C’est un fait. Des minorités existent. Elles pratiquent d’autres cultes, musulmans ou non musulmans. Ces minorités n’ont pas attendu la mise à niveau des textes pour exercer leur liberté religieuse. D’un point de vue strict, elles sont borderline et pratiquement hors-la-loi. Ce n’est d’ailleurs pas seulement la loi qui les condamne, mais la société aussi, leurs voisins, Monsieur tout le monde.
Que faire alors ?
Nous avons compris, depuis longtemps, que le problème n’était pas simplement religieux, ni juridique. Il est politique aussi, dans un pays où le chef de l’Etat est le Commandeur des croyants. Cette disposition ouvre la porte à la liberté de culte, puisque les croyants ne sont pas à chercher, uniquement, dans les rangs des «musulmans orthodoxes». Ils se recrutent aussi parmi ceux que l’orthodoxie musulmane appelle les infidèles, parfois les apostats (chiites, chrétiens ou autres). Mais la porte se ferme pour les autres, les non-croyants, coincés dans un espace mort, vide. Six ans plus tard, nous mesurons toute l’audace de la proposition, en 2011, d’inscrire la liberté de conscience dans les clauses de la Constitution marocaine. Elle était là, la révolution promise par le Printemps arabe. Mais elle n’a pas eu lieu !
Par Karim Boukhari, Directeur de la rédaction