L’abominable acte terroriste qui a frappé la ville de Christchurch le 15 mars, en Nouvelle Zélande, est un horrible tournant dans le chainon du terrorisme. Ce n’est pas un acte qui s’ajoute à d’autres, dans le cycle de l’horreur, mais unévénement qui inaugure un sinistre chapitre parce qu’il puise dans un nouveau référentiel et une nouvelle idéologie. Diffuse et éparse, elle alimentait quelques partis de droite en Occident, au ton populiste, pour apparaître, désormais, avec la tuerie de la mosquée al Nour, comme une « pensée » structurée autour d’une vulgate (« la grand remplacement ») qui met en exergue la prééminence de « l’homme blanc ». La civilisation occidentale serait menacée par les hordes d’émigrants, légaux ou clandestins, qui entacheraient sa pureté. Ce qui n’était qu’écart de langage, avec des relents populistes, est désormais un discours qui tue. On ne peut prendre la chose à la légère. Tout comme nous condamnons l’extrémisme au nom de l’islamisme radical, on ne peut observer le silence sur cette nouvelle idéologie de la prééminence de « l’homme blanc ». Il y a danger en la demeure, car des non-blancs qui sont citoyens occidentaux ou vivent en Occident, pourraient être des cibles si la vigilance venait à baisser.
Des intellectuels sérieux se sont penchés sur le rejet dont pâtissent les communautés issues de l’émigration, et son avatar, l’islamophobie. Mais de telles conclusions étaient souvent présentées comme étant des élucubrations d’illuminés. Les communautés issues de l’émigration pâtissent de l’indifférence, du regard dédaigneux, si ce n’est celui de la haine, qui fait d’eux « la racaille, les odeurs fortes, la misère du monde, la cinquième colonne », et se voient frappés, de fait, par un apartheid sournois.
Aucune société au monde ne peut prétendre à la « pureté » raciale, ethnique ou confessionnelle. L’idée de pureté est, comme dirait Sartre, une idée de fakir et de moine. Nous vivons dans un monde imbriqué où l’émigration est une donnée structurante. Celui qui a agi au nom de « l’homme blanc » et qui pensait « purifier » la Nouvelle Zélande, est lui-même issu de l’émigration. Il est aussi intrus que ses victimes hindoues, pakistanaises ou arabes. Nos façons de penser et d’agir n’ont pas aussi évolué que l’évolution du monde. Il est fondamental d’avoir une vision globale sur des phénomènes globaux. Les problèmes en aval dans tel pays, pourraient avoir leurs causes en amont dans d’autre(s).
Les attitudes sont encore frileuses, au nom de conceptions étriquées des souverainetés. Le monde moderne est fait de migration. Elle s’est faite souvent dans la douleur. On n’a jamais demandé à l’Africain son avis, pour se voir emporté dans des calles vers le « nouveau monde ». Ce qui est valable pour l’Africain l’est aussi pour l’Hindou extirpé de sa terre pour aller travailler dans le froid de Manchester, ou le Nord-Africain venu, contre son gré, extraire le charbon en Métropole. Au nom de quelle loi la victime se mue en coupable ? Est-ce justice, de le rejeter après usage, et de se laver les mains de son engeance et de son héritage culturel ?
Il n’y a de justice que s’il n’y a pas de discrimination. Le terrorisme au nom de l’islamisme radical est abominable, et le terrorisme au nom d’une quelconque pureté « ethnique » ou civilisationnelle, l’est autant.
Gardons à l’esprit que ce sont les idées qui tuent, ou plus exactement, on tue au nom des idées, que les canons, les explosifs, les fusils, les ogives, ne sont que des instruments. Il est aussi fondamental de s’arrêter sur cet élan salutaire, venu d’Occident, et particulièrement de la Nouvelle Zélande, incarné par la première ministre Jacinda Ardern, qui a fait montre de grande compassion, et qui a refusé le manichéisme des vecteurs de la haine. En psychanalyse, nous le savons, le Moi est indissociable de l’Autre. C’est à travers l’Autre, que je découvre mon Moi. La diabolisation de l’Autre procède de troubles pathologiques et de manque de confiance.
Devant l’horreur, l’histoire nous a toujours réservé de belles surprises : l’insurrection des consciences. Mais celle-ci ne peut se faire avec l’amnésie ou l’indifférence. Il est fondamental de dénoncer, et de rejeter l’inhumain, ce que les Anglo-Saxons appellent « naming and shaming », pour que l’humain puisse resurgir.
Hassan Aourid, conseiller scientifique de Zamane