Dans ma chronique en langue arabe parue dans Zamane d’octobre 2023, intitulée «Le danger du Sahara pour l’Algérie», j’avais averti que l’Algérie se retrouverait dans une situation difficile en raison de sa longue frontière saharienne. Il est important de préciser que je faisais référence ici au Sahara central, allant de l’océan Atlantique jusqu’aux frontières du Soudan, et non au Sahara marocain, souvent appelé Sahara occidental dans la terminologie onusienne. L’Algérie, héritière du projet colonial français, a récupéré des frontières tracées par la France, souvent sans tenir compte des réalités géographiques et culturelles locales. Ce découpage colonial, qui a permis à la France d’étendre son influence sur une vaste portion de l’Afrique du Nord, a légué à l’Algérie un territoire complexe et difficile à gérer. La France, en cherchant à renforcer son empire, a grignoté des territoires du Maroc, mais aussi des parties du territoire tunisien et libyen, créant des frontières qui n’avaient pas de fondement dans les réalités locales. Aujourd’hui, avec les relations tendues que l’Algérie a créées avec le Mali, le Niger, la Lybie de Hafter, avec l’alliance qui se crée entre le Maroc et la Mauritanie, ces frontières héritées sont devenues un fardeau pour l’Algérie. Le Sahara central, immense et aride, est devenu une zone particulièrement difficile à contrôler. Avec plus de 7000 kilomètres de frontière désertique, l’Algérie fait face à une situation géopolitique complexe. Les étendues du désert, qui étaient autrefois considérées comme des zones stratégiques, se sont transformées en des régions hostiles. Le contrôle de ces frontières est extrêmement difficile, et l’Algérie se trouve en proie à une multitude de défis.
La fragilité de la situation est renforcée par l’hostilité que l’Algérie nourrit vis-à-vis de ses voisins, ainsi que certaines dynamiques internes. Sa position dans le Sahel est particulièrement vulnérable. Le Mali, le Niger et la Libye sont des pays où l’instabilité règne (et l’Algérie n’est point innocente dans ces troubles), et cette instabilité est exacerbée par les tensions internes et les influences étrangères.
De plus, les choix géopolitiques de l’Algérie, notamment son soutien au Polisario, ont nourri une inimitié avec le Maroc, et ont contribué à une polarisation géopolitique dans la région. Les tensions liées au Sahara occidental sont un facteur supplémentaire de fragilité, l’Algérie étant perçue comme un acteur incontournable dans ce conflit. En créant le Polisario et en l’armant et en l’accueillant sur son sol l’Algérie a mis du poison dans son propre nid. La libre circulation des armes sur son propre sol et surtout entre les mains de populations frustrées est une bombe qui risque de lui exploser de l’intérieur même de son territoire. Les frontières de l’Algérie ne sont pas seulement des lignes de démarcation géographiques ; elles sont devenues des zones d’affrontements, de trafic et de radicalisation.
Les groupes armés, les trafiquants de drogue et autres acteurs non étatiques prospèrent dans cette vaste région désertique, et l’Algérie peine à maintenir son autorité sur ces territoires. L’instabilité qui touche le Sahel, nourrie par des conflits internes et par des intérêts étrangers, rend la gestion de ces frontières encore plus complexe et périlleuse.
Face à ces défis, l’Algérie se trouve prise dans un dilemme : entre maintenir l’intégrité de ses frontières héritées de la colonisation et gérer une réalité géopolitique marquée par l’instabilité et les conflits régionaux. La situation est d’autant plus difficile que l’Algérie semble parfois alimenter les tensions au lieu de les désamorcer, par des actions qui nourrissent des inimitiés et compliquent ses relations avec ses voisins, notamment la Mauritanie et le Maroc. L’Algérie, jadis se définissant elle-même comme un acteur majeur dans la région, semble aujourd’hui avoir du mal à faire face à ses propres limites. Ses frontières sahariennes, plutôt que d’être une source de richesse et de stabilité, sont devenues un fardeau. La gestion de ce territoire immense et difficile reste l’un des plus grands défis géopolitiques du pays. Le danger pour l’Algérie réside dans cette incapacité à sécuriser son territoire saharien. Les conséquences de cet héritage colonial et de la gestion des frontières mal définies sont claires : l’Algérie doit désormais naviguer entre ses ambitions géopolitiques et la gestion d’une zone géographique complexe. Le Sahara, jadis considéré comme une zone stratégique, devient une frontière que le pays peine à contrôler et à sécuriser, alors même que l’instabilité de certains de ses voisins et les tensions internes compliquent davantage la situation.
Par Moulim El Aroussi, conseiller scientifique de Zamane