À l’approche des élections au Maroc, des hommes politiques se tournent vers les artistes, les sollicitent, les mettent en avant, dans un élan soudain de valorisation de l’espace urbain. Les villes doivent paraître belles, modernes, dynamiques mais surtout à temps pour les campagnes électorales ou les grands événements comme la Coupe du monde 2030. Derrière ce mouvement se cache une réalité plus ambivalente. Nombreux sont ces élus qui, sans bagage artistique ni vision culturelle cohérente, s’improvisent mécènes ou amateurs d’art. Leur regard sur l’art reste souvent superficiel : une fresque murale ici, une installation là, quelques murs repeints à la hâte, comme si l’art n’était qu’un accessoire esthétique, un habillage passager de la ville. L’artiste devient un simple décorateur de service. Mais l’art ne se limite pas à un décor. C’est un acte, un langage, une respiration profonde qui donne sens au lieu, au temps, à la mémoire. Le réduire à un simple outil de valorisation urbaine, c’est méconnaître sa portée symbolique, spirituelle et même politique. Pourtant, beaucoup d’artistes acceptent cette mise en scène, souvent contraints par la précarité de leur condition. La commande publique, même instrumentalisée, reste une rare occasion d’être payé, vu, entendu. Le problème, cependant, est moins dans l’acceptation que dans le rôle implicite qui leur est assigné. On fait appel à eux comme à des éboueurs symboliques, chargés de « nettoyer » les espaces urbains à l’approche d’événements précis, comme on repeindrait une façade délabrée avant l’arrivée d’un invité. L’art est là pour faire oublier les poubelles, les fissures, les années de négligence, et donner l’illusion d’un renouveau. Mais que se passe-t-il une fois les élections passées, une fois les projecteurs éteints ? Les fresques s’écaillent, les sculptures s’oxydent, les lieux redeviennent ce qu’ils étaient : abandonnés. Car la vision politique dominante n’est pas celle d’un soin durable, mais d’un effet immédiat.
Ne serait-il pas plus juste de penser la beauté urbaine autrement ? Investir dans l’entretien régulier des villes, dans le nettoyage réel des rues, dans la réhabilitation des murs avec de la chaux ou de la peinture?
Les artistes peuvent, et doivent, jouer un rôle essentiel dans la construction du tissu urbain. Mais pas en tant que figurants temporaires d’un scénario politique. Ils sont porteurs de sens, de mémoire, de critique et souvent d’espérance. Il est temps de repenser cette relation entre politique et création. Non plus comme une alliance de circonstance, mais comme un partenariat profond, continu, au service du bien commun. L’artiste n’est pas un embellisseur. Il est un révélateur. Et toute ville qui aspire à la beauté durable devrait commencer par lui faire une vraie place, pas une place de vitrine, mais une place d’honneur.
Ces hommes politiques devraient s’engager dans de véritables politiques culturelles, plutôt que de tirer profit de la précarité dans laquelle vivent certains artistes.
Par Moulim El Aroussi