Voilà près de 100 ans que le royaume a découvert le ballon rond. Un sport qui a rapidement passionné le pays, mais également cristallisé les enjeux politiques .
Contrairement à ce qui s’est passé dans d’autres pays du monde, ce ne sont pas des marins anglais qui ont introduit la pratique du football au Maroc, mais bien des militaires et des colons français. Officiellement, la première compétition et les premiers matchs n’ont commencé qu’en 1916. Mais d’autres sources affirment que des matchs de football ont bien été joués quelques années avant cette date. Houcine Hayani, l’un des pionniers de la presse sportive du royaume, affirme que la toute première rencontre de football sur le sol marocain a été disputée en 1913, soit un an seulement après l’établissement du protectorat. Le match aurait eu lieu à Aïn Taoujdate et aurait opposé une équipe de colons de Fès à une autre de Meknès.
Quoi qu’il en soit, l’année 1913 connaît la création des tout premiers clubs de football et, parmi eux, l’Union Sportive Marocaine de Casablanca (USM) qui va, à lui seul, symboliser toute une époque, celle du football colonial. En 1916, le coup de sifflet est donc donné pour le démarrage de la première compétition officielle, la Ligue du Maroc. L’ancêtre du championnat actuel débute avec des clubs où évoluent des joueurs exclusivement européens. Sur le plan administratif, la Ligue est placée sous la tutelle de la Fédération française de football (FFF). Celle-ci compte alors 22 ligues régionales, dont 5 en Afrique du Nord (Maroc, Oran, Alger, Constantine et Tunisie).
Pour la première saison, c’est le CA de Casablanca qui remporte le titre, devenant ainsi le premier champion de l’histoire du Maroc. Une année plus tard, commence le règne de l’USM qui réussira à rafler trois titres d’affilée. Après la fin de la Grande guerre en Europe, la supériorité des clubs casablancais cesse pour un certain temps, puisque c’est l’Olympique Marocain, un club rbati, qui domine la Ligue pendant quatre années de suite. La première moitié de la décennie 1920 est aussi caractérisée par l’apparition des premiers joueurs marocains dans les clubs du championnat. L’un de ces joueurs n’est autre que Mohamed Ben Lahcen Tounsi Afani, alias le Père Jégo. Après avoir été le tout premier bachelier de l’histoire du Maroc, le Père Jégo s’est découvert une passion pour le football en allant étudier en France en 1919. Ses études de banquier terminées, il rentre au Maroc en 1922, où il intègre les rangs de l’Union Sportive Athlétique de Casablanca (USA). La carrière de ce joueur n’est pas brillante, mais il reste à cette époque l’un des rares joueurs marocains à évoluer au sein de la Ligue. Quelques décennies plus tard, son génie footballistique sera reconnu comme entraîneur et son nom restera pour toujours associé au Raja de Casablanca.
Débuts du football « indigène »
Entre-temps, les équipes ne cessent de se multiplier et commencent à manquer d’effectifs. C’est d’ailleurs la période où les premiers clubs dits musulmans voient le jour. Mais ce n’est qu’en 1932 que la Résidence générale reconnaît officiellement l’Association Rabat-Salé comme la première équipe musulmane. Au nord du pays, d’autres équipes de ce genre ont pu voir le jour bien avant leurs consœurs sous influence française. Dès l’établissement de la zone internationale de Tanger en 1923, un premier club marocain, l’Association Maghrib Al Aqsa, a été autorisé dans la ville du détroit. Mais l’absence d’un tournoi régional dans cette zone, ainsi que dans tout le Maroc espagnol, contraint les clubs de cette région à sombrer dans les divisions inférieures du championnat d’Espagne. La seule exception sera l’œuvre de l’Atletico de Tétouan, qui réussira pendant la saison 1950-1951 à monter en première division espagnole pour jouer contre des clubs tels que le Real de Madrid et le FC Barcelone.
Retour en zone de protectorat français, où l’année 1926 marque une nouvelle étape dans l’évolution du football au Maroc. Après avoir rejoint le Championnat d’Afrique du Nord, les clubs du royaume ont cette fois l’occasion de se mesurer chaque saison à leurs homologues d’Algérie et de Tunisie. Pourtant, ce n’est qu’en 1932 que l’USM de Casablanca devient le premier club marocain à remporter cette épreuve, après une domination totale des clubs algériens. C’est l’âge d’or du club casablancais, qui compte dans ses rangs les meilleurs éléments évoluant dans la Ligue du Maroc. Le plus grand de ces joueurs n’est autre que Larbi Ben M’Barek. Celui qu’on a surnommé « la Perle noire » signe à l’USM en 1935. Dans cette équipe où évolue une majorité de joueurs français, Larbi ne parvient pas à trouver sa place pendant la première saison. Il joue en équipe réserve et, le reste du temps, exerce son métier de pompiste. L’année suivante, il réussit enfin à s’imposer par sa technique et l’élégance de son jeu. Mais Ben M’Barek ne restera que deux années de plus, avant de traverser la Méditerranée pour signer à l’Olympique de Marseille où il fera le bonheur du public phocéen.
Un enjeu nationaliste
Ce transfert est une sorte de reconnaissance du talent de toute une génération de joueurs « indigènes » qui, enfants, ont appris le football en jouant avec des boules de chiffons. Depuis le début du protectorat, le football est devenu, inconsciemment, un moyen d’assimilation. Au cours de cette décennie 1930, qui voit l’émergence du mouvement nationaliste marocain, le football devient également un outil formidable d’affirmation de l’identité nationale et culturelle. Cela commence par l’apparition de clubs dont l’appellation fait référence directement au nom du pays : Maghreb F.B de Rabat en 1930, Maghreb F.B de Casablanca en 1938… Le football fait désormais partie intégrante du jeu politique qui commence à opposer les nationalistes marocains aux autorités françaises. Les revendications d’indépendance ne sont pas encore à l’ordre du jour, mais le football, et le sport en général, vont contribuer aux requêtes réformistes du mouvement nationaliste urbain au Maroc. Le principal objectif est d’en finir avec l’injustice et la ségrégation. En atteste l’histoire de la création de l’un des plus grands clubs marocains, le Wydad Athletic Club (WAC).
Tout débute en 1935, lorsque quelques musulmans et juifs commencent à fréquenter les piscines qui entourent le port de la ville blanche. L’accès à ces infrastructures sportives est alors réservé aux membres des clubs, mais le nombre de Marocains y adhérant ne cesse d’augmenter. Cette situation commence à inquiéter les Européens, qui ne vont pas tarder à renvoyer les Marocains de ces clubs. Deux hommes, Mohamed Benjelloun et Abdellatif Benjelloun Touimi, se donnent pour mission de créer un club qui permettrait aux Marocains d’accéder aux piscines casablancaises. Après plusieurs tractations, le résident général Charles Noguès autorise le Wydad de water polo à voir le jour en 1937. Deux ans plus tard, la section football est créée et, dès le début, dix Marocains figurent dans l’équipe, contre un seul Européen, ce qui va accroître de manière considérable la popularité du club casablancais.
Au cours de l’année 1940, alors que l’Europe s’enfonce dans la violence de la Seconde guerre mondiale, la Ligue du Maroc est suspendue. Elle est remplacée par une autre compétition, la Coupe de Guerre. Le Wydad, qui joue sa première saison, brille lors de ce tournoi en atteignant la finale, avant de s’incliner par un but à zéro face à l’USM. Deux ans après, c’est la reprise de la Ligue et, encore une fois, c’est l’Union Sportive Marocaine de Casablanca qui remporte le titre. Cependant, même si les clubs où évoluent un grand nombre d’Européens, comme l’USM, se montrent en bonne forme pendant cette période de guerre, la rapide défaite militaire de la France en 1940 booste le nationalisme marocain et, avec lui, le nombre de nouveaux clubs dans le royaume. Visiblement, le modèle du Wydad est devenu l’exemple à suivre puisque, quelques années plus tard, des équipes qui vont faire l’histoire du football national comme le Moghreb de Fès (1946), le Kawkab de Marrakech (1947) ou le Raja de Casablanca (1949) sont fondées par des grandes figures du nationalisme marocain.
L’année 1948 est celle du premier sacre du Wydad en championnat. Le titre remporté par l’équipe rouge et blanche n’est pas seulement un exploit sportif, mais aussi un grand coup politique. Le symbole est considérable, puisque c’est le club qui compte le plus grand nombre de joueurs « indigènes » qui triomphe de toutes les autres équipes à majorité européenne. La réussite sportive et le sentiment identitaire vont garantir au WAC des milliers de supporters à travers tout le royaume.
Le Wydad inquiète les Français
Chaque succès du club est perçu comme une victoire contre les autorités du protectorat. D’ailleurs, à chaque déplacement du Wydad, les Français mettent en place un dispositif sécuritaire impressionnant pour calmer les ardeurs du public marocain. Police, gendarmerie, tirailleurs sénégalais et même des tanks sont parfois placés à l’entrée des stades. C’est aussi l’époque de la triplette d’or du club casablancais : Mohamed Chtouki, Driss Joumad et Abdeslam. Ces trois éléments vont permettre au club de remporter quatre titres de championnat consécutifs. Ils seront même approchés par des clubs espagnols, mais le prince héritier Moulay Hassan exige d’eux qu’ils restent au pays afin d’assurer la supériorité du Wydad. Une sorte de devoir patriotique selon le futur Hassan II qui, d’après plusieurs témoignages, vient jouer régulièrement au football dans les quartiers de la médina de Casablanca.
En 1952, un petit séisme secoue le foyer Wydadi. Le Père Jégo, qui était jusque-là l’entraîneur du club et l’artisan de ses grandes victoires, quitte le WAC. Il rejoindra le Raja quelques années plus tard, où il appliquera le style de jeu sud-américain, au lieu du style européen qu’il avait développé au Wydad.
L’année du départ du Père Jégo est également celle où le WAC perd le titre, et c’est l’USM, son grand rival pendant les années du protectorat, qui lui succède en championnat en décrochant par la même occasion son 15e titre, un record. Mais l’année 1953 est aussi celle d’importants bouleversements sur la scène politique. L’envoi en exil du sultan Mohammed Ben Youssef déclenche le compte à rebours final vers l’indépendance. Pour l’USM et les clubs de colons, le crépuscule des dieux commence.
En 1955, le Wydad remporte son cinquième titre de la compétition. Mais c’est la dernière saison de l’épreuve. Le sultan Mohamed Ben Youssef ne va pas tarder à rentrer d’exil pour déclarer l’indépendance du pays. Le rideau tombe sur la Ligue du Maroc, pour laisser la place à un nouveau championnat… et à une nouvelle page du football national.
C est un vrais plaisir de lire ce billet, je vous remercie vraiment !!!
Quelle est l’appellation exacte du CA de Casablanca?
je crois club amal casablanca
Peut être »’Club Athlétique de Casablanca »’
Le Wydad Athletic Club est une fierté nationale 🙂 Vive le Wydadisme ♥
Svp une corrextion; le pere Jego n’a quitté le WAC qu’en 1956; c’est lui qui offre le titre de 1955 aux rouges ce qui fait de lui le coach le plus titré de l’histoire du championnat marocain.
Quid de 1954 ?
Wydad al ouma
Votre article comporte bien des erreurs, Dans la partie chrono vous dites que L’association Rabat-Salé est créé en 1932, la vraie date est 1913. De plus il y avait un championnat au Nord du Maroc qui s’appellait « Campionato Hispanomarroqui » qui a vu le jour en 1931.
Ca relève malheureusement de beaucoup de mauvaise fois de dire que le champion du Maroc était le champion de la région centrale colonisée par la France..
merci pour cet article