La vie politique algérienne trouve un écho immédiat au Maroc. Les événements majeurs que connaît notre voisin, nous les scrutons au rétroviseur par rapport à une communauté d’histoire ; mais aussi dans la perspective d’un lendemain commun, quel qu’il soit, pour le meilleur et pour le pire. C’est un peu la marque de fabrique de notre imbrication historique, depuis des lustres ; c’est aussi l’empreinte rétive de nos rapports sur un demi-siècle révolu depuis l’indépendance algérienne. Il en est ainsi, dira-t-on sans autre forme de fatalisme, exclusivement mis sur le dos d’un voisinage géographique, et contraire à la méthodologie rationaliste de l’histoire.
Les élections législatives algériennes du 10 mai 2012 participent de cet état d’esprit. Ici, au Maroc, elles étaient attendues, observées et suivies avec un intérêt avoué. Les résultats du scrutin ont fait réagir à des degrés divers. Silence gêné, avec une déception, à peine retenue, côté officiel. Par contre, la presse écrite, autonome ou partisane, plus que l’audiovisuel public, a donné libre cours à ses commentaires et interprétations. Il n’empêche. Un point commun traverse l’ensemble de la classe politique et tous les médias : cette consultation populaire en Algérie et son issue nous concernent.
Pour rappel, le parti du président Bouteflika et de son Premier ministre, Ahmed Ouyahya, respectivement le FLN (Front de libération nationale) et le RND (Rassemblement national démocratique), ont raflé la mise ; une majorité absolue très confortable. Circulez, il n’y a rien à voir. Le Printemps arabe n’a pas droit de cité sous les cieux algériens.
Paradoxe du contexte actuel dans le monde arabe, ce dénouement électif n’a pas été pour plaire à la quasi-totalité des milieux politiques marocains. On aurait voulu, sans vraiment le dire, qu’à Alger aussi, comme à Rabat, à Tunis et à Tripoli, les islamistes arrivent au pouvoir. L’Alliance de l’Algérie verte, un cartel d’islamisme politique jugé fréquentable et présentable, aurait fait l’affaire, estime-t-on. Une sorte de vérification d’un adage arabe : « Lorsqu’un problème se généralise, il devient plus facile à résoudre ». Il semble que les amis civils et militaires de Abdelaziz Bouteflika aient fait le nécessaire pour que ce vœu ne soit pas exaucé. Autre point étrange, les observateurs euro-américains ont considéré, sans réserve, que ce scrutin a été régulier, limpide et transparent de bout en bout. La vérité des urnes dans toute sa splendeur, sous une république où le parti unique s’est accommodé du multipartisme sans lâcher une once de sa suprématie, depuis un demi-siècle. En fait, il y a eu comme une révision de calcul par rapport à ce Printemps arabe sous haute bienveillance occidentale. L’Amérique a du mal à brider les Frères musulmans d’Egypte qu’elle a longtemps couvé, au prix d’un équilibre instable difficile à maintenir au profit d’Israël. Quant à l’Europe, tout porte à croire qu’elle ne veut pas d’un Maghreb entièrement bariolé de vert islamiste. N’en déplaise au formalisme démocratique, une Algérie figée dans ses dogmes éculés, forte de sa montagne de pétrodollars, devient ainsi un facteur de stabilité dans le Nord-Ouest africain, voire dans la vastitude sahélienne de non-droit.
Cette logique ne sert pas les intérêts vitaux du Maroc qui a quelques raisons légitimes d’apprécier l’événementiel politique algérien à l’aune d’un bilatéral compliqué, sinon carrément conflictuel.
Tout naturellement, la question du Sahara arrive en tête d’agenda, depuis trente-sept ans. Toutes les chancelleries d’Europe et d’Amérique savent que le verrou de ce blocage se trouve à Alger. Leurs instituts de géostratégie tiennent également à jour les achats d’armes des pays de la région. Avec 2,5 milliards de dollars, en 2011, l’Algérie fait partie des cinq premiers pays au monde pour les dépenses en armement. Une question revient de façon récurrente et lancinante : contre qui l’Algérie se surarme-t-elle ? C’est beaucoup trop pour les bandes de trafiquants-kidnappeurs du Sahel. Quoi d’autre, à part une affirmation de puissance militaire régionale qui peut tout se permettre ? En tous cas, les dernières élections législatives en Algérie confirment cette tendance à haut risque. Comment éviter une histoire qui serait écrite à l’avance ? C’est toute la question. Quant à l’UMA, elle attendra ; à moins que le mythe ne soit déjà enterré.
Youssef Chmirou
DIRECTEUR DE LA PUBLICATION