Le mois de mai a toujours pour moi un goût particulier. Le 15 mai, c’est mon anniversaire. J’ai soufflé mes soixante-deuxième bougies. Mais la date anniversaire est aussi celle de la Nakba du peuple palestinien. Intériorisée depuis mon jeune âge, cette association ajoutait de l’amertume à chaque 15 mai. Il était souvent édulcoré par l’atmosphère militante des meetings de solidarité avec le peuple palestinien. Cette tradition de la mouvance démocratique a été perdue, noyée dans le flot luxuriant des médias et du net. Dans ce déversement d’informations, l’écume générée par les «pétards mouillés» de la majorité parlementaire avait retenu, un moment, mon attention. Je voulais m’interroger sur le fond de la crise qui tenaille les structures profondes du Maroc, m’interroger sur les motivations des acteurs politiques les plus influents quant à l’avenir du PJD au gouvernement. S’agit-il d’une manoeuvre de déstabilisation et de fragilisation, semblable à celle subie par le gouvernement USFP d’Abderrahman El Youssoufi, c’est-à-dire une réédition de l’usure, par le Makhzen, des acteurs susceptibles de développer une légitimité populaire ? Ou au contraire, la manoeuvre est plus subtile, plus sournoise. Devant la crise qui s’aggrave, et les marges de manoeuvre qui se rétrécissent, le « émotions populaires » peuvent prendre la forme d’un grand ébranlement. Alors la manoeuvre serait la sauvegarde du PJD en le victimisant, l’empêchant d’échouer, le retirant de la gestion du quotidien ? Bref, en lui gardant son aura et sa «virginité». Il ne sera alors que plus populaire, et par conséquent un «recours sûr» en cas de déflagration populaire. Les ingénieurs des développements politiques au Maroc sont-ils vraiment outillés pour de telles stratégies ?
18 mai
Le CERMB de Casablanca et l’Association Tétouan Asmir du Nord ont organisé ensemble une journée de mémoire et d’études, en hommage au Nord du Maroc et à sa population. Le rôle de cette partie du Maroc dans la lutte pour la liberté et l’Indépendance n’a pas la place qu’il mérite dans l’évocation officielle de l’Histoire du Maroc. J’ai fait le déplacement vers Tétouan et participé aux activités de cette journée en ma double qualité de membre du CERMB, et de conseiller scientifique de Zamane. Bien entendu, le numéro 27 de notre revue, consacré à la « mémoire oubliée du Nord », était entre les mains de nombre de présents à cette manifestation singulière. Les organisateurs ont articulé, avec succès, mémoire et histoire, acteurs et symboles. Ils ont dosé, avec minutie, les moments où l’émotion submergeait l’assemblée et les moments durant lesquels la critique scientifique démontait les représentations et les héros de notre Histoire, élevés par notre mémoire collective en mythes sacralisés. La maison du grand nationaliste du Nord, Abdelkhalek Tores, au coeur de la Médina, a été le théâtre des activités de cette journée. La matinée à été programmée pour rendre hommage aux nationalistes et aux résistants marocains des régions du Nord, dont le martyre El Madani Chafik (homme du Sud, résistant au Nord). L’assemblée était des plus prestigieuses. Une cinquantaine d’hommes et de femmes de la résistance armée, dont de grandes figures du Conseil national de l’armée de libération du Maroc : Saïd Bounaalat, Houcin Berrada, Thami Nouamane, Bensaïd Aït Idder, Mohammed Mokhtar El Ansari, Ahmed Sawt El Arabe, El Ghali Laraki (présent par une vidéo spéciale), El Hachemi Nadil, chef de l’armée de libération à Smara, et bien d’autres, dont une centaine représentant l’intelligentsia de Tétouan, les universitaires, les société civile, les responsables du Conseil de la ville, les femmes et hommes de culture et journalistes de la ville. Durant cette matinée, la palme revient à l’historien M’hamed Ben Aboud, dont la maison familiale à Tétouan abrite le « Musée du mouvement national au Nord du Maroc ». Lors de sa conférence inaugurale, M. Ben Aboud a soufflé le chaud et le froid. En exprimant sa compassion à la famille de Chafik El Madani, il a évoqué sa propre souffrance : celle d’un fils qui a perdu son père alors qu’il n’était qu’un foetus dans le ventre de sa mère. Le père en question est M’hamed Ben Aboud membre du bureau du Maghreb Arabe au Caire, qui a perdu la vie suite au crash de l’avion qui le ramenait du Pakistan en 1949. En évoquant cette souffrance, le professeur, les larmes aux yeux, déclarait qu’au-delà des émotions et des bons sentiments, les enfants, les proches des acteurs historiques, doivent comprendre que l’Histoire se doit de dévoiler tout ce qu’elle peut reconstruire avec preuves et méthode, même si son discours heurte les sensibilités et ébranle les symboles ! L’après-midi le public tétouanais avait rendez-vous avec les «scanners» des historiens professionnels. Les écrits de grands résistants ont été passés au peigne fin. Les historiens ont démonté les discours, scruté la mémoire, et émis leurs observations et leurs réserves. Un bel échange entre «mémoire collective» et «mémoire historique». Une fois encore, la terre du Nord, les gens du Nord ont fécondé notre patrimoine commun. Le préjudice qui a touché cette partie de nous doit être réparé avec hauteur et élégance pour que les Marocains construisent ensemble la citoyenneté de demain.
Par Mostafa Bouaziz, conseiller scientifique de Zamane