Un ancien adage veut que les artistes ne meurent jamais. Encore une illusion de l’art ! Pour ceux qui l’aiment, Melehi a disparu. Il n’est plus là physiquement, mais la métaphore persiste et le fait revenir en ce mois de décembre. Depuis 2009 Mohamed Melehi s’était fixé sur un lieu à Casablanca, la Loft Art Gallery. Ceci faisait partie de son militantisme pour l’art. Il voulait inciter les jeunes artistes à fidéliser le public et instaurer des rituels dans des lieux particuliers. Celui de revenir chaque année presque à la même date, sur le même lieu, pour célébrer un événement artistique. Cette année, exactement 25 mois après sa mort, sa galerie, et en guise d’hommage, lui dédie une exposition où elle retrace cette expérience unique avec un artiste exceptionnel.
En fait, l’artiste que la scène artistique a perdu le 28 octobre 2018 à Paris, à cause d’une vilaine infection à la COVID, avait choisi délibérément de réfléchir et de méditer sur les problèmes de notre planète. Il était terrifié par les images des inondations qui ravageaient une grande partie de la terre, n’épargnant aucun continent. Il disait qu’il était du rôle des artistes de lancer les signes avant-coureurs des catastrophes qui guettent en permanence notre vie. Il a ainsi travaillé sur la portée mythologique des arbres et leur rôle dans la protection des écosystèmes. Pour chaque exposition, il se documentait tant sur le plan scientifique spirituel que mythologique. Mais comme les arbres sont en lien étroit avec l’eau, il a surtout attiré l’attention sur les catastrophes liées au réchauffement climatique. L’humanité avait très tôt attiré l’attention sur la réaction de la nature. Les récits aussi bien religieux que mythologiques qui habitent notre inconscient ne cessent de rappeler que les déluges sont en fait une manière qu’ont les divinités à châtier les âmes destructrices de la vie sur terre. Son exposition sur le déluge est venue juste après l’organisation de la COP 22 à Marrakech.
Mais l’exposition qui voulait juste mettre en valeur la relation intime et discrète qui liait le peintre à l’espace s’est vite transformé en une écriture de l’histoire de l’artiste en partie celle de l’histoire de l’art au Maroc par la présence d’œuvres majeures du peintre. En fait, le parcours de Melehi dans cet espace a vu se créer une écriture en filigrane du début de la modernité artistique marocaine avec des œuvres de la période de Rome où l’artiste était engagé dans des expérimentations de la scène artistique mondiale que lui permettait sa proximité d’un nombre important des chefs de file de tendances nouvelles.
À la fin de sa période italienne, Melehi s’émancipait lentement mais sûrement des influences des maîtres en donnant plus d’importance à son acquis culturel et patrimonial marocain. C’était une bonne préparation de la période new-yorkaise où sa démarche et son style allaient s’affirmer et porter une marque dont sa peinture ne s’en détachera presque jamais. Une exposition sous forme de petit livre intime.
Par Moulim El Aroussi